Tout y passe : avantages abusifs et injustifiés, gestion approximative de la flotte et du carburant, abandon de chantiers coûteux… A la lecture du diagnostic des magistrats, l’on comprend l’état déplorable de la compagnie.

Le rapport de la Cour des comptes 2010 ne pouvait pas mieux tomber. Encore une fois, le timing sert l’équipe Benkirane et le diagnostic de l’équipe de Midaoui conforte le gouvernement dans sa volonté de moraliser la vie publique, de rationaliser la gestion des établissements publics… Et les magistrats de la Cour n’y vont pas de main morte, dénonçant les gabegies et la gestion calamiteuse des entreprises publiques. Sans surprise et au regard de sa situation financière calamiteuse, c’est la compagnie nationale du transport aérien, Royal Air Maroc (RAM), qui remporte la palme. Le rapport passe au crible une décennie de gestion de la compagnie, entre 2001 et 2010, chiffres et rapports financiers à l’appui. Les magistrats s’attardent sur la situation financière de RAM qui commence sa descente aux enfers en 2009 pour dégager en 2010 « des résultats négatifs dépassant toutes les prévisions», fustigent les auteurs du rapport.

Gratuité de transport à vie

Au-delà de ce diagnostic alarmant que nul n’ignore, le rapport invoque des problèmes de gestion et dénonce des anomalies dans le mode de gouvernance. C’est le cas des avantages accordés « sans justification », à des membres du Conseil d’administration (CA) et anciens responsables partis à la retraite. Le règlement interne de RAM prévoit des primes sous forme d’indemnités kilométriques en faveur des membres de son CA. « Mais cela est en totale contradiction avec les dispositions de deux circulaires du Premier ministre, datant de mai  et septembre 1999, qui interdisent l’octroi d’avantages, que ce soit en nature ou en espèces, aux membres des CA des établissements et entreprises publics », soutient le rapport. Sont également dénoncées l’octroi de la gratuité de transport aux hauts cadres de RAM (présidents, DGA et leurs familles) durant toute leur vie.

Mais c’est dans le mode de gestion de la flotte que le management de la compagnie fait preuve d’un amateurisme consternant.

Le rapport critique à la fois la composition de la flotte aérienne, son mode d’acquisition et son exploitation. Plusieurs défaillances relatives à la pertinence de l’investissement, à l’exploitation et la cession d’avions sont relevées. Une grande partie de la flotte, soit 24 appareils, a été acquise dans le cadre du programme d’investissement 2002-2012.

Hypothèse de croissance erronée

Mais le plan de flotte qui a servi de base au programme souffre de plusieurs carences. D’une part, ce plan ne fait pas partie d’une vision stratégique claire qui précise les choix de développement de l’entreprise et prend en compte l’évolution du transport aérien au cours de la période considérée. D’autre part, ce plan a été élaboré dans son intégralité par les services internes de RAM. Or, la complexité de la tâche exigeait un accompagnement externe par des experts pour un résultat plus pertinent. Par ailleurs, ce plan qui s’étale sur une longue durée (10 ans) s’est basé sur l’hypothèse de croissance de 6% du trafic aérien, une donnée mondiale, au lieu de se fonder sur la dynamique locale. Egalement, le plan a retenu une logique d’acquisition et occulté la possibilité de location qui permet plus de souplesse, notamment en période de crise. Les magistrats dénoncent une multitude d’anomalies dans l’exécution de ce plan. Parmi les plus saillantes, une incohérence flagrante entre les ordonnances du plan et sa concrétisation. Ainsi, en 2010, RAM présente un appel d’offres aux constructeurs Boeing et Airbus, pour l’acquisition de 20 appareils moyen-courrier et 4 appareils long-courrier. Cet appel d’offres s’est soldé par la signature du contrat d’achat avec Boeing. Mais, la Cour des comptes relève qu’à côté, RAM a acquis 4 autres appareils Airbus (A321). Pourtant, Airbus n’a pas été retenu à l’issue de l’appel d’offres et la commande ne correspond pas aux décisions arrêtées par le plan d’investissement. Parallèlement, RAM a poursuivi l’augmentation de sa flotte, en dehors du plan flotte, en procédant au rachat « ferme » de 14 appareils dont 4 à exploiter début 2011, et à la location de 12 autres appareils dont 9 seront utilisés pendant la même période. Toutes ces acquisitions ont eu pour conséquence d’alourdir davantage ses engagements financiers.

Plan de sauvetage

Au total, RAM a réceptionné 32 avions entre 2002 et 2010, alors qu’elle n’avait besoin que de 20 unités. Par ailleurs, l’analyse de la composition de sa flotte révèle une « grande hétérogénéité » aggravée depuis 2004, suite à l’intégration des appareils Airbus. Plus grave, l’exploitation de ces derniers est restée très limitée par rapport aux objectifs tracés lors de leur acquisition. Pour rectifier le tir, RAM décide, suite à une étude en 2006, de se séparer de ces 4 appareils malgré leur jeune âge (3,5 ans en moyenne). Sauf que la vente, (un appel d’offres a été lancé en 2007), aurait occasionné une perte de 226,9 millions de dirhams. A laquelle il faut ajouter le coût de rachat des crédits contractés pour le financement de ces appareils. Mais comme l’appel d’offres n’a suscité aucun intérêt, l’option de vente a été écartée et remplacée par celle d’une location longue durée. Malheureusement jusqu’à fin 2010, cette possibilité n’a pu être concrétisée et RAM a dû se résigner à garder ses appareils en dépit de leur rendement insuffisant. La mise en œuvre en 2011 du plan de sauvetage de RAM, qui a bénéficié d’une large médiatisation, se révèle un peu tardive. Et l’on se demande, à la lumière du rapport de Midaoui, si les mesures adoptées dans l’urgence suffiront à sauver la compagnie du crash.

Khadija El Hassani