La communauté financière est dubitative, et le projet de place financière ne mobilise pas grand-monde pour l’instant. Si le volet immobilier est plutôt classique, l’aspect réglementaire et commercial suscite encore des questions. Tour d’horizon.

Que pensez-vous du projet Casablanca Finance City (CFC),  et de son état d’avancement ? Cette question laisse perplexe la plupart des intervenants –banquiers, assureurs, analystes financiers et gestionnaires de fonds – interrogés par actuel. « Si l’on arrive à réaliser 30% des objectifs affichés au départ, ce sera déjà bien pour le Maroc », susurre un banquier de la place. La persistance de la crise financière internationale risque, il est vrai, de perturber le calendrier de réalisation du projet. Pour autant, rassurent des gestionnaires de fonds, l’intérêt des investisseurs internationaux pour l’Afrique de l’Ouest, centrale et du Nord est réel. Mais il faut agir vite pour qu’il se traduise par des implantations et des flux de capitaux. Pour Saïd Ibrahimi, directeur général de Moroccan Financial Board, la société gestionnaire de CFC, la place financière est déjà une réalité, indépendamment du projet immobilier, et les chantiers avancent en parallèle.

A l’évidence, l’aspect immobilier du projet CFC ne suscite aucune inquiétude particulière, bien qu’il y ait un risque réel de suroffre de bureaux à Casablanca, avec  les livraisons attendues d’Anfaplace et de Marina Casablanca. D’où la nécessité pour CFC de se différencier en offrant un concept de vie et de travail spécifique, à un prix concurrentiel. Outre la mise à niveau urbanistique de Casablanca, CFC apportera pas moins de 700 000 m2 de bureaux additionnels, sachant que la capitale économique dispose actuellement de 1 million de m2, dont seulement 5% à 10% sont libres. D’ores et déjà, plusieurs institutions locales ont manifesté leur intérêt, notamment BMCE Bank et la Banque Populaire. « Elles auront leur siège au sein de la place financière mais pas le statut CFC », précise Ibrahimi. Le volet immobilier fait donc l’unanimité puisque Casablanca aura enfin un beau quartier d’affaires, et résidentiel, en plein cœur de la ville.

La zone francophone à la traîne

Mais là n’est pas la préoccupation de la communauté financière. « Le projet CFC appelle quelques interrogations, en particulier sur le positionnement de la place en tant que plateforme africaine », confie un patron de banque qui suit de près le projet. Pour l’heure, le continent est dominé par les pays anglophones qui offrent des opportunités immenses et très convoitées par les fonds anglo-saxons. En revanche, la zone francophone, à savoir les pays de l’Afrique de l’Ouest et du Maghreb, reste relativement à la traîne.

Il est vrai que l’intérêt des fonds internationaux, y compris du Moyen-Orient, pour cette région, est aujourd’hui palpable, en raison d’un réel potentiel de croissance. Mais le véritable déclic se fait attendre. « A terme, la zone est intéressante pour les fonds anglo-saxons, et arabes si la finance islamique prend son envol, et Casablanca a une place à prendre, sinon c’est une place concurrente qui se lancerait », reconnaît un analyste. Mais tout reste à faire, sachant que les investisseurs sont, par essence, opportunistes et que leur intérêt peut se porter à tout moment vers une autre zone géographique. Le Maroc fait donc le pari de créer un marché à part entière, avec des risques à assumer. « Le gouvernement a clairement exprimé dans sa déclaration son intention d’accompagner les réformes pour attirer les capitaux étrangers. Donc, la volonté politique est là et au plus haut niveau de l’Etat », rappelle le directeur général de MFB.

Mais c’est sur le plan réglementaire que le bât blesse. La gamme de produits reste désespérément limitée et « peu sexy ».

Plusieurs pistes sont évoquées comme la création d’une Bourse des phosphates où l’OCP jouerait le rôle de market maker. CFC a aussi une place à prendre parmi les paradis fiscaux avec un positionnement intermédiaire fondé sur une fiscalité étudiée, tout en restant dans la légalité et les bonnes pratiques internationales. Par ailleurs, compte tenu de sa proximité géographique avec des sièges de banques internationales, CFC peut se positionner dans le processus de délocalisation des opérations de back office.

Mettre les bouchées doubles

Mais pour remporter tous ces défis, il faut mettre les bouchées doubles et avancer sur les chantiers réglementaires. La Bourse qui, sur d’autres places, joue un rôle pivot, a besoin d’un sérieux coup de fouet. « Il est désolant de voir en suspens des projets de réformes qui sont dans le pipe depuis plusieurs années », observent des professionnels. Ouverture du capital de la Bourse de Casablanca aux banques et compagnies d’assurance, création de nouveaux compartiments, renforcement de l’indépendance du CDVM, lancement de nouveaux instruments financiers comme les produits dérivés... Sans oublier la convertibilité du dirham sur laquelle continue de plancher Bank Al-Maghrib, et sans laquelle l’on ne peut espérer développer l’activité flux de capitaux étrangers et fonds de capital risque en devises. « Pas du tout, prenez des places financières de référence comme Johannesbourg ou Shanghaï, leurs monnaies locales ne sont pas convertibles ! », fait remarquer Ibrahimi.

L’on attend de MFB qu’elle joue le rôle de fédérateur pour réactiver tous ces chantiers et ficeler, au plus vite, une offre attrayante et compétitive, assortie d’une fiscalité véritablement incitative. Il est étonnant que pour l’heure, la plupart des membres de la communauté financière ne montrent guère d’enthousiasme à l’égard du projet. Avec l’octroi des premiers statuts CFC, Moroccan Finance Board a sans aucun doute raté l’occasion de provoquer le sursaut nécessaire pour aller de l’avant, et s’appuyer sur l’adhésion de tous pour réussir le pari.  Mais à travers cette sortie, Ibrahimi avait un tout autre message à faire passer : CFC est d’ores et déjà opérationnelle.

Mouna Kably