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Affaire Ibrahimi : Le milieu des affaires sous le choc  
actuel n°147, vendredi 22 juin 2012
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L’arrestation de l’ancien prĂ©sident de la Comanav, de ses ex-collaborateurs et de responsables syndicaux a fait l’effet d’une bombe. Sa coĂŻncidence avec la quasi-faillite de la Comarit donne lieu Ă  toutes les supputations sur « l’origine » de l’affaire et les chefs d’inculpation. Mais l’élĂ©ment dĂ©clencheur reste un mystĂšre.


 

L’étĂ© promet d’ĂȘtre chaud. Alors que l’affaire Benallou (ONDA) n’est pas tranchĂ©e et celle de Alioua (CIH) toujours en stand by, la machine judiciaire s’est soudain emballĂ©e Ă  propos de Comanav. Son ancien PDG, Taoufiq Ibrahimi, figure parmi les prĂ©venus. L’annonce de son interpellation, durant le week-end dernier, a fait l’effet d’une bombe. Et le milieu des affaires casablancais parle dĂ©jĂ  de chasse aux sorciĂšres et de campagne d’assainissement bis
 Alors que la procĂ©dure judiciaire vient tout juste de s’enclencher, Ibrahimi est dĂ©jĂ  « prĂ©sumĂ© coupable » aux yeux de bon nombre de commentateurs plus ou moins proches du dossier. Voici encore quelques semaines, l’ex-PDG de Comanav Ă©tait prĂ©sentĂ© comme le sauveur potentiel de Comarit, la compagnie maritime mise Ă  terre par la famille Abdelmoula. Son plan de sauvetage, qui semble-t-il tenait la route, n’aurait toutefois pas convaincu les banques crĂ©anciĂšres.

Les motifs de son arrestation sont restĂ©s obscurs jusqu’à la comparution des six personnes mises en cause devant le juge d’instruction Ă  la cour d’appel de SalĂ©. Les chefs d’accusation prononcĂ©s, mardi soir, laissent sans voix : « Constitution de bandes de malfaiteurs, atteinte Ă  la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure, divulgation du secret professionnel, incitation Ă  faire grĂšve et sabotage de constructions portuaires et de bateaux. » Autant d’actes qui auraient pĂ©nalisĂ© le port de Tanger Med. Il est question de sabotage avec « incitation Ă  faire grĂšve » en rĂ©fĂ©rence aux arrĂȘts de travail Ă  rĂ©pĂ©tition qu’avait connus Tanger Med lors du dernier trimestre 2011. Autrement dit, aprĂšs son Ă©viction de la prĂ©sidence du directoire de TMSA qui date d’avril 2011
 Pour mĂ©moire, cette paralysie avait occasionnĂ© des retards dans le traitement des conteneurs et incitĂ© les transporteurs Ă  dĂ©charger leurs cargaisons dans des ports europĂ©ens (Eurogate, Safmarine notamment). Au vu de l’énormitĂ© des faits reprochĂ©s au groupe d’interpellĂ©s, les dĂ©cideurs politiques gagneraient Ă  se montrer plus transparents, ne serait-ce que pour rassurer l’opinion publique et surtout les patrons d’entreprises, publiques et privĂ©es, tous tĂ©tanisĂ©s par la brutalitĂ© de l’arrestation et la gravitĂ© des charges. Car en attendant, les commentaires fusent dans tous les sens.

Selon certains, l’affaire aurait Ă©tĂ© enclenchĂ©e aprĂšs une plainte dĂ©posĂ©e, il y a quatre mois, par Abdelmoula, suite Ă  la dĂ©couverte d’un trafic important de billetterie Ă  Comanav Voyage. Plainte qui aurait Ă©tĂ© suivie par la mise en place d’écoutes tĂ©lĂ©phoniques des suspects. Ni les motivations ni l’identitĂ© du juge ayant ordonnĂ© cette Ă©coute ne sont connues Ă  ce jour. Pourtant, c’est ce qui aurait donnĂ© lieu Ă  l’actuelle procĂ©dure judiciaire. Ce qui fait dire Ă  un avocat de l’un des prĂ©venus : « En rĂ©alitĂ©, il n’y a de preuves tangibles pour aucune de ces accusations. Toute l’affaire repose sur des Ă©coutes de communications tĂ©lĂ©phoniques entre prĂ©venus. » Ces Ă©coutes constitueraient la piĂšce maĂźtresse des accusations formulĂ©es plus haut.

Autre explication avancĂ©e : les charges retenues contre Ibrahimi et consorts seraient liĂ©es aux conditions de gestion de la Comanav, puis de sa cession Ă  CMA CGM. Sauf que le rapport de la Cour des comptes de 2005 – auquel il est fait rĂ©fĂ©rence pour appuyer ces accusations – relate des faits antĂ©rieurs Ă  l’arrivĂ©e d’Ibrahimi. A moins qu’il n’ y ait d’autres documents accablants pour l’heure inconnus


 

Flash-back

En 2007, le Français CMA CGM se porte acquĂ©reur en misant 2,25 milliards de dirhams, une coquette somme bienvenue pour les caisses de l’Etat. Dans un contexte particuliĂšrement dĂ©licat pour les finances publiques, CMA CGM a Ă©tĂ© seul Ă  manifester un intĂ©rĂȘt pour la compagnie nationale alors que son activitĂ© n’est pas axĂ©e sur le transport de personnes mais exclusivement sur celui des marchandises. Aussi, CMA CGM se voit contraint de scinder Comanav en deux pĂŽles : pĂŽle fret et pĂŽle ferry. En fĂ©vrier 2009, le pĂŽle ferry est repris par Comarit. L’incident diplomatique entre le Maroc et la France est Ă©vitĂ© in extremis. De façon inexpliquĂ©e, Ibrahimi restera aux commandes de Comanav jusqu’en 2010. C’est donc lui qui pilotera l’opĂ©ration de cession du pĂŽle ferry


C’est aussi lui qui concoctera le plan de sauvetage de Comarit. Pour ce faire, il crĂ©e en mars dernier Morocco Ferries, en s’associant Ă  deux ex-dirigeants de Comanav et Ă  une personne morale, SIZ.CO. Morocco Ferries devait se substituer Ă  Comarit pour sauver l’entreprise de la banqueroute Ă  travers un contrat de gestion pour compte. L’objectif Ă©tant de libĂ©rer les navires bloquĂ©s dans le port de SĂšte et de relancer l’activitĂ©, au moins le temps de la saison estivale. Les banques diront niet. Ibrahimi n’aura pas le temps de trouver une alternative pour se porter en sauveur du pavillon marocain. Son arrestation sera lancĂ©e en mĂȘme temps que celle, entre autres, de son ancien chargĂ© de mission et ancien cadre du ministĂšre des PĂȘches, Mohamed Rami. Les autres prĂ©venus sont l’actuel directeur des ressources humaines du groupe CMA CGM au Maroc et ancien directeur d’armement de la Comanav, Abderrahim Mandour, le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du syndicat des dokers, SaĂŻd El Hirech, et celui des marins, Mohamed Chamchati. Les deux syndicats sont affiliĂ©s Ă  l’UMT. Seul un des sept prĂ©venus a Ă©tĂ© relĂąchĂ© mais reste placĂ© sous contrĂŽle judiciaire.

 

Garde à vue prolongée

A l’heure oĂč nous mettions sous presse, toutes ces personnes avaient Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©es devant le juge d’instruction de SalĂ© aprĂšs leur comparution devant le procureur gĂ©nĂ©ral au tribunal d’appel de Casablanca. Selon l’avocat de l’un des prĂ©venus, jusqu’à prĂ©sent, la procĂ©dure judiciaire est normale et ne souffre d’aucun vice. La pĂ©riode de garde Ă  vue a Ă©tĂ© prolongĂ©e Ă  96 heures, soit la limite lĂ©gale. AprĂšs leur prĂ©sentation devant le juge d’instruction de SalĂ©, cinq des six prĂ©venus sont en Ă©tat d’arrestation prĂ©ventive, en attendant la fin de l’instruction de l’affaire. Selon une source proche du dossier, la prochaine audience est prĂ©vue pour dĂ©but juillet. Ce dossier Ă  rebondissements pourrait alimenter un long feuilleton judiciaire estival.

Khadija El Hassani

Quid de Comarit ?

Pendant que Taoufiq Ibrahimi et les autres prĂ©venus attendent la suite de la procĂ©dure judiciaire, le patron de Comarit, Abdelali Abdelmoula tente de faire pression sur les diffĂ©rentes parties, Etat, banques et syndicats. Il annonce Ă  son personnel une ultime tentative pour renflouer sa compagnie. Un mystĂ©rieux fonds d’investissement italien, dont le nom est gardĂ© secret, serait prĂȘt, selon un courrier adressĂ© Ă  ses Ă©quipes, Ă  investir prĂšs de 40 millions d’euros Ă  la fin du mois. Mais Ă  condition que l’Etat mette la main Ă  la poche en apportant, dans les meilleurs dĂ©lais, un complĂ©ment de 25 millions d’euros au capital du groupe. Les banques devraient aussi abandonner des crĂ©ances et rĂ©Ă©chelonner sur dix ans les dettes rĂ©siduelles. Les fournisseurs devraient Ă©galement consentir Ă  en faire de mĂȘme. Les syndicats n’ont pas Ă©tĂ© oubliĂ©s. Abdelmoula compte aussi sur leur contribution pour garantir la paix pendant cinq ans. Le patron de Comarit ne manque pas de semer la peur auprĂšs de ses Ă©quipes en menaçant de cessation de paiement si ce plan n’aboutit pas. Oubliant au passage qu’il en est le gestionnaire et le propriĂ©taire.


Un parcours sans faute... jusque-lĂ 


1981

‱ AprĂšs son baccalaurĂ©at obtenu au lycĂ©e militaire royal, Taoufiq Ibrahimi intĂšgre les classes prĂ©paratoires au lycĂ©e Henri PoincarĂ© Ă  Nancy. Il dĂ©croche ensuite un diplĂŽme d’études supĂ©rieures commerciales, administratives et financiĂšres en 1981.

‱ Il dĂ©bute sa carriĂšre professionnelle en France, chez BSN Gervais Danone en tant que responsable commercial puis chef de zone export, chef de produits senior et  adjoint au directeur marketing.

‱ Il intĂšgre le holding CCI, filiale du groupe Ynna en France, en tant qu’administrateur dĂ©lĂ©guĂ© jusqu’en 1992.

 

1992

‱ Retour au Maroc pour travailler au sein de Asma Invest, sociĂ©tĂ© maroco-saoudienne d’investissement dirigĂ©e par Abdellatif Guerraoui.

 

1994 -2001

‱ En 1994, il est nommĂ© directeur gĂ©nĂ©ral de l’Office national des pĂȘches.

‱ Juin 2001, il obtient un master in public policy and management  de la Kennedy School of Government de l’universitĂ© de Harvard aux Etats-Unis.

 

2001

‱ AoĂ»t  2001, il est nommĂ© PDG de Comanav. DĂšs son arrivĂ©e, il met en place un plan de restructuration opĂ©rationnelle, financiĂšre et organisationnelle avec une organisation par pĂŽle mĂ©tier. Objectif : recentrage de la compagnie sur ses activitĂ©s rentables et rĂ©duction des charges. Entre autres chantiers, il pilote un plan de dĂ©part volontaire qui touche prĂšs de la moitiĂ© des effectifs.

 

2005

‱ En 2005, la Cour des comptes enquĂȘte sur des irrĂ©gularitĂ©s de gestion. Mais contrairement Ă  ce qui a Ă©tĂ© relayĂ© par diffĂ©rents commentateurs, celles-ci ne portent pas sur le mandat d’Ibrahimi, mais sur les annĂ©es prĂ©cĂ©dant son arrivĂ©e. Ces irrĂ©gularitĂ©s avaient Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©es en 2000 suite Ă  une mission d’inspection de l’IGF.

 

2007

‱ En 2007, Comanav est cĂ©dĂ©e Ă  CMA CGM au prix de 2,25 milliards de dirhams. Cette privatisation avait fait couler beaucoup d’encre et de nombreuses zones d’ombre subsistent aujourd’hui encore sur cette opĂ©ration.

‱ Taoufiq Ibrahimi accompagne CMA CGM dans l’intĂ©gration opĂ©rationnelle de Comanav dans les structures internationales du groupe et dans son dĂ©veloppement au Maroc.

 

2009-2011

‱En 2009, Comanav Ferry est cĂ©dĂ©e Ă  la famille Abdelmoula

‱ Ibrahimi est nommĂ©, en 2011, prĂ©sident du directoire de TMSA, avant d’ĂȘtre remerciĂ© cinq mois plus tard.

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