« Casablanca n’est la propriété de personne ! »
Pour Azelarab Benjelloun, président du conseil régional de l’ordre des architectes de Casablanca, il n’est pas question de laisser faire. Si la tranche 2 de la corniche a été attribuée de gré à gré, le conseil est prêt à protester jusqu’à l’arrêt des travaux. Qui aura gain de cause ?
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actuel : Pour le lancement de la tranche 2 de la corniche qui va jusqu’au Morocco Mall, on évoque un appel d’offres international. En avez-vous entendu parler ?
Azelarab Benjelloun : Non. Et je ne suis pas sûr qu’il existe. Sauf s’ils l’ont encore fait en catimini, dans des publications que personne ne lit, et uniquement en arabe, sous prétexte que c’est la langue officielle.
Pour mettre fin à ces pratiques, il faut revoir la réglementation. Dans l’état actuel des choses, en tant que président du conseil de l’ordre, je n’ai aucun recours légal. Mais si ce projet a, une fois de plus, été donné de gré à gré, il va y avoir du bruit !
Si la deuxième tranche de la corniche doit être réalisée de la même manière que la première, on va demander un appel au concours d’idées. Et s’il n’y a pas de concours d’idées, on va crier au scandale, jusqu’à l’arrêt du marché s’il le faut. C’est inadmissible, Casablanca n’est la propriété de personne !
Continuer sur la lancée de la tranche 1 jusqu’au Morocco Mall serait la catastrophe. Surtout que le trottoir, à ce niveau, n’est pas aussi large, et est encore plus fréquenté. Avec des jardinières au milieu, on va se marcher sur les pieds.
N’oublions pas qu’en face de cette corniche, sont prévus de gros projets, avec des maîtres d’ouvrages privés, qui ont remporté des appels d’offres réels et qui vont faire de très belles opérations. Et si en face on fait n’importe quoi, et bien on détruit l’économie marocaine !
Et que pensez-vous de l’aménagement actuel de la corniche ?
L’idée de rendre la côte aux piétons est géniale – et on l’a applaudie – mais elle n’a pas été aboutie. L’aménagement global tient la route, mais plusieurs éléments posent de gros problèmes. D’abord le manque de parking.
Pourquoi ne pas avoir créé un parking souterrain, sur toute la longueur du passage piéton, qui aurait résolu tous les problèmes de circulation et de parking actuels sans coûter extrêmement cher, et n’avoir pas fait l’économie des fameuses « boules » ?
Deux étés à peine après la fin des travaux, et les véhicules commencent à stationner sur la droite, sur la piste cyclable ! Celle-ci aurait dû être protégée, intercalée entre deux voies piétonnes, plutôt que de servir de parking…
Et pourquoi pas un couloir réservé aux taxis ? On peut aussi faire des remarques sur le choix des matériaux : le marbre de Carrare est un matériau frileux, qui « boit » énormément et, surtout, ne résiste pas au sel.
Il est tenu par des structures métalliques, donc aussi sensibles à la corrosion. Ce sont des erreurs qui vont nous coûter cher. Encore heureux que les fontaines prévues aient été remplacées par des plantes !
Quelle aurait dû être la démarche à suivre pour éviter de telles erreurs ?
Le gros problème de nos maîtres d’ouvrage, c’est qu’ils ne font pas de programmation. A Casablanca, on est dans la communication à outrance ; chaque projet semble avoir été pensé comme un coup de com’, sans planification préalable !
Pour commencer, avant de lancer un tel projet, il faut faire appel à des architectes-programmistes qui réalisent une étude sur les problèmes et besoins de cette corniche : l’humidité, le stationnement, etc.
Après, on lance un concours d’idées pour recueillir diverses propositions. Un jury représentatif choisit alors un projet puis se réunit en commission avec le maître d’ouvrage attributaire pour discuter des changements éventuels à apporter, et suivre les travaux.
Actuellement, qui surveille de tels projets et s’assure du respect du cahier des charges ?
Le conseil de la ville – maître d’ouvrage – appointe une commission chargée d’examiner et, le cas échéant, de demander des modifications. Mais cette commission est composée uniquement de fonctionnaires, de membres des services d’urbanisme, d’architecture et d’aménagement.
On ne sollicite pas les compétences extérieures pour avis, ni les associations de quartier ou de défense du patrimoine, ni l’ordre des architectes ou associations d’architectes et d’urbanistes (il y en a une à Casablanca). La critique n’est pas acceptée car assimilée à des insultes.
Comment se fait-il que personne n’ait entendu parler d’un appel d’offres pour l’aménagement de la première tranche de la Corniche ?
A ma connaissance, la tranche 1 de la corniche n’a pas été attribuée suite à un appel d’offres, mais par entente directe. Ce qui n’est pas interdit. En effet, la décision appartient au maître d’ouvrage, et aujourd’hui rien ne l’oblige à recourir à un appel d’offres.
Il existe un décret régularisant la passation de marchés publics, mais pas en ce qui concerne cet aspect. Cela fait presque quatorze ans que nous fonctionnons selon une simple circulaire.
Et il y a maintenant plus d’un an que l’on nous affirme que le nouveau décret – qui comprendra des dispositions sur l’attribution des marchés publics aux architectes – « est sur le point d’être approuvé ».(*) Ce décret instaurerait le recours obligatoire à un appel d’offres pour les projets dont le coût dépasse 5 millions de dirhams (représentant 250 000 dirhams d’honoraires pour un cabinet d’architecture).
Mais ce décret ne fait pas l’unanimité...
Il est très critiqué par les architectes de Rabat et Casablanca car il va entraîner des concours à outrance. Les cabinets d’architecture vont devenir des boîtes à concours et concevoir des projets le plus rapidement possible, avec un risque de baisse de la qualité.
D’autre part, dans la mouture actuelle du texte, l’ordre des architectes n’est pas impliqué dans le processus d’attribution des concours, ne fait pas partie des jurys et n’est pas présent lors de l’ouverture des plis.
La démarche manque donc gravement de transparence. Enfin, ce qui nous inquiète beaucoup à Casablanca, c’est que le décret n’oblige pas le maître d’ouvrage à annoncer le montant du marché.
Nous acceptons de jouer le jeu si, au moment de l’appel d’offres, l’enveloppe budgétaire du projet est publique. L’opacité concernant le budget ouvre la voie aux pratiques illicites comme le copinage.
C’est déjà le cas aujourd’hui puisque quelques confrères s’accaparent toutes les commandes d’un même ministère donné. Or, le but de ce décret est d’arrêter le gré à gré. De toute façon, cela fait tellement longtemps que l’on travaille avec une simple circulaire que la promulgation de ce texte serait un mieux indéniable. On va bien voir comment cela va fonctionner, et nous crierons au scandale à chaque attribution de marché opaque ou illégale.
Propos recueillis par Amanda Chapon
(*) ndlr : au final, le nouveau décret sur les marchés publics ne devrait pas être adopté avant 2012, après la réforme de la loi organique des Finances. |