EditoNouvelle GénérationDossierEconomiePolitiqueSociétéTendances & CulturePortraitBdVDiaporamaArchives
 
Follow actuel_maroc on Twitter
Follow actuel_maroc on Twitter
Sidi Taibi : Trou noir du Maroc  
actuel n°171, jeudi 6 décembre 2012
| More

A deux pas de Kénitra, dans cette « ville » en forme de douar, les villageois ont été spoliés de leurs terres collectives, les services publics sont déficients, l’électricité est aux abonnés absents... mais pas l’insécurité. Malgré cela, quelques irréductibles se battent pour leur dignité.

 

Ici, on n’est pas au Maroc. On est à Ghaza. » L’homme qui nous parle est Ahmed, un commerçant. On l’entend bien, mais on ne le voit guère. Il est 19h et il n’y a pas d’électricité dans ce café au bord de la route. On rétorque quand même que Sidi Taibi, c’est plus calme que à Ghaza… « Non, non, on est à Ghaza. On est les victimes d’un blocus. Rien ne fonctionne. Regardez, nous sommes 100 000 habitants et il n’y a pas d’électricité. Sans électricité, c’est l’insécurité totale. » Pas de bombardements ici, mais des voleurs, des agresseurs, des violeurs et des chiens errants.

Aux côtés d’Ahmed Belhenda, Meriem A., maman de quatre enfants et vice-présidente des parents d’élèves. Elle s’emporte à son tour et raconte que des gamines de 12 ou 13 ans ont été violées en rentrant de l’école dans le noir. Meriem A. explique que les ados ont peur de revenir le soir de Kénitra par bus, car on raconte qu’une bande d’évadés de la prison de Salé a trouvé refuge ici et sème la terreur… « Même certains militaires ont été agressés », ajoute-t-elle.

Ici, c’est Sidi Taibi, un bled qui porte bien mal son nom et qui n’en finit pas de nous étonner. Il a pourtant l’air sympa ce « douar » quand on passe sur la route côtière au sud de Kénitra. Il y a des échoppes, des brochettes et un souk de route. On n’imagine pas un instant que le village est en fait... une ville. Officiellement, Sidi Taibi est passé de 6 200 à presque 20 000 habitants entre 1994 et 2004. Pour 2012, les estimations officielles pour cette commune rurale tournent aux alentours de 36 000 âmes. Mais Ahmed Belhenda est persuadé qu’il faut plutôt tabler sur 100 000 habitants car la plupart d’entre eux arrivent ici sans changer leur CIN.

En tout cas, dès que l’on quitte la côtière, Sidi Taibi s’étend à perte de vue entre forêts, champs, terrains vagues et zone industrielle. On serpente plus d’une heure dans des quartiers variés où pas une seule maison n’est achevée. Sauf un café aux couleurs du Barça. Pour ces dizaines de milliers d’habitants, il n’y a que trois fontaines d’eau potable, huit gendarmes et deux médecins, un maigre dispensaire où l’infirmier consulte par la fenêtre selon des critères précis, il faut lui donner des œufs pour pouvoir entrer et avoir droit à des médicaments, un troc en somme…

 

Groupes électrogènes et capteurs solaires

Seul un quart de la commune a accès à l’électricité. Même la pharmacie est plongée dans le noir et il n’y a pas de cours de physique depuis deux ans au collège, faute de courant. Aucune équipe ne veut venir jouer au foot ici : il n’y a pas de douche dans le stade. Alors bien sûr, on se débrouille. Il y a des groupes électrogènes et le vendeur de capteurs solaires semble faire un business florissant.

Pourtant le roi est bien venu inaugurer la première tranche d’électrification de la ville en 2008. « Mais pour éviter qu’on lui raconte ce qui se passe vraiment, on a fait venir des gens de l’extérieur pour l’accueillir », raconte Fatma Mamouni, militante au Centre marocain des droits humains (CMDH).

Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi cette commune, magnifiquement située entre mer et forêt, s’est-elle transformée en gigantesque chantier inachevé, une sorte de bidonville en dur où seules les mosquées équipées de capteurs solaires semblent terminées ? C’est encore Fatma Mamouni qui raconte : « Tout a commencé en 1997. Cette année-là, la commune a décidé de reprendre des terres collectives pour construire un souk hebdomadaire. Les gens qui refusaient étaient menacés. On leur disait : “Soit vous vendez, soit vous serez expropriés par l’Etat.” Les villageois vivaient dans la misère et l’ignorance. Certains ont vendu leurs terres pour une bouchée de pain. » Au départ, on leur offre 2,5 dirhams ou 3 dirhams le mètre carré. Puis les prix grimperont pour atteindre la mirifique somme de 10 dirhams le mètre carré.

Sauf que tout ceci est illégal. Les terres collectives sont régies par un dahir de 1919 qui stipule qu’elles ne peuvent pas être vendues mais uniquement exploitées par les membres d’une tribu. A Sidi Taibi, trois tribus se partageaient les 262 hectares de terre, pour le maraîchage ou le pastoralisme. Aujourd’hui, selon Fatma Mamouni, il n’y a plus qu’une dizaine d’hectares qui ont échappé à la vente forcée. Car, après le souk, c’est tout le patrimoine rural de la tribu qui a été raflé. En quelques années, des promoteurs ont mis la main sur les plus belles terres, en bord de mer. Et des particuliers se sont précipités sur les zones côté forêt. Sans aucun plan d’ensemble, dans l’anarchie la plus totale... d’où l’état pitoyable de la commune en 2012.

Mais tous ne se sont pas laissés faire. Certains ont refusé de vendre, comme la famille de Fatma Mamouni qui a pris la tête du combat des femmes soulaliyates de la commune, en créant une section locale du CMDH.

Car, parmi les plus misérables de ce marché de dupes, les femmes tiennent une place de choix. Elles n’étaient pas reconnues dans le système des terres collectives soulaliyates et ne pouvaient hériter du droit d’usufruit de leurs ancêtres. Un scandale au pays de la nouvelle moudawana, qui a perduré jusqu’en 2009.

Une femme soulaliyate de la région d’Ifrane a réussi alors à obtenir un droit sur l’héritage en faisant venir douze témoins qui attestaient que ses ancêtres exploitaient bien la terre. Une brèche juridique est ouverte dans laquelle s’est engouffrée Fatma Mamouni. Elle obtient la procuration de 52 femmes et se bat avec elles pour obtenir ses droits. Après de multiples sit-in devant la wilaya de Kénitra et jusqu’à Rabat, elle obtient en 2010 qu’une circulaire stipule que les femmes ont les mêmes droits que les hommes. Sauf que le texte est inapplicable car, sur les listes des bénéficiaires des terres collectives, il n’y a que des hommes ! Nouveaux sit-in, nouvelles protestations... et, finalement, on réactualise les listes l’année suivante et les femmes y font leur entrée.

Avec l’aide d’associations comme le CMDH, elle a gagné son combat pour les femmes. Mais il lui reste à mener celui pour la commune où des villageois dépossédés de leurs terres vivent dans des conditions indignes.

Eric Le Braz

| More
Archives SociĂ©tĂ©
N°172 : L’art des mets 
N°171 : Sidi Taibi : Trou noir du Maroc  
N°170 : Azul Amazigh  
actuel N°169 : High-tech : Dessine-moi une appli 
N°168 : Kafala : La croix et la... circulaire  
N°167 : IdentitĂ©: Amazigh United  
N°166 : ADM Value : TĂ©lĂ©opĂ©rateurs du cĹ“ur  
N°164/165 : Droit Ă  l’information : La loi du silence  
N°163 : Tanger : BĂ©ni Makada, la frondeuse  
N°162 : DĂ©bat : L’homme n’est pas l’avenir de la femme  
N°161 : Caritatif : La rentrĂ©e des enfants handicapĂ©s  
N°160 : Casablanca, rĂ©novation du MarchĂ© central : Les effets collatĂ©raux
N°159 : Trafic de voitures : Le luxe depuis l’Italie  
N°158 : RentrĂ©e scolaire : Le changement, c’est pour quand ? 
N°157 : TĂ©moignages : Gaza vue par ses fils  
N°155 : Au royaume des trolls 
N°154 : Iguider, l’arbre qui cache la forĂŞt 
N°152 : Attention chiens mĂ©chants 
N°151 : London calling… Qui dĂ©crochera ? 
N°150 : Prison : L’enfer Oukacha  
N°149 : Abdellah Nahari : Le cheikh du buzz  
N°148 : Agadir Busway, le tram alternatif  
N°147 : Droits humains : Sale temps pour les immigrĂ©s  
N°146 : Ne faites pas entrer l’accusĂ© 
N°145 : Emploi : L’insoluble crise du chĂ´mage  
N°144 : Droits humains Ramid ou ONG : qui dit vrai ? 
N°143 : Casablanca American School :  la guerre est dĂ©clarĂ©e
N°142 : Ici Radio Coran 
N°141 : Cahiers des charges, une nouvelle polĂ©mique
N°140 : L’hypnose peut soigner 
N°139 : Entretien avec Mohamed El Maâzouzi 
N°138 : Noor : Â«â€‰J’en ai marre ! »
N°137 : Bienvenue dans l’enfer d’Aarich 
N°136 : Entretien avec Jean Zaganiaris 
N°135 : Affaire #FreeEzzedine : Le dernier souffle d’un condamnĂ©
N°134 : Don d’organes   Comment sauver des vies
N°133 : Province d’Al HoceĂŻma   Casseurs en uniforme
N°132 : Controverse   Au commence ment Ă©tait le MUR…
N°131 : DĂ©bat OĂą sont passĂ©s les laĂŻcs?
N°130 : ONDA  Fait divers ou vengeance ?
N°129 : Le retour du lèse-majestĂ© 
N°128 : 20 FĂ©vrier, An 1 :  GĂ©nĂ©ration insoumise
N°127 : Bassima Hakkaoui   « Pourquoi ne pas soumettre l’avortement Ă  rĂ©fĂ©rendum ? »
N°126 : MĂ©dias   La rĂ©forme, maintenant !
N°125 : J’ai testĂ© pour vous,  le Parc zoologique de Rabat
N°124 : CAN 2012,   Remettez-nous ça !
N°123 : RĂ©seaux sociaux :  Au royaume du blog
N° 122 : 20 dirhams par jour   et par personne
N°121 : Double meurtre Ă  Khouribga 
N° 120 : Boursiers FME :   PrĂŞts pour l’ascenseur social !
N°119 : A quoi sert le CNDH 
N°118 : RĂ©fugiĂ©s:   Le dĂ©sarroi des rapatriĂ©s de Libye
N°117 : Au TEDx :  se bousculent les idĂ©es
N°116 : DĂ©chets industriels :  faites comme chez vous...
N°115 : Manifestations :  le M20 dans l’œil du cyclone
N°114 : La dĂ©prime   des homos marocains
N°113 : Entretien avec Dr Chaouki Alfaiz  directeur de recherche Ă  l’INRA et prĂ©sident de B1A Maroc
N°112 : Les salades   c’est tendance
N°111 : Khouribga  De la richesse Ă  la pauvretĂ©
N°111 : Les rĂ©voltĂ©s   du phosphate
N°111 : Entretien avec Abdelaziz Adidi Les phosphates n’ont profitĂ© Ă  aucune rĂ©gion
N°110 : Violence Que se passe-t-il Ă  Dakhla
N° 109 : Harley Davidson on the bitume 
N°108 : Autopsie d’une mort absurde 
N°107 : Protection des animaux Ain Sebaa : le degrĂ© zĂ©ro des zoos  
N° 106 : Interview Hicham El Moussaoui Le Marocain s’est (enfin) libĂ©rĂ©
N° 104/105 : Web TV Yek, pourquoi pas 
N°103 : Capdema Des jeunes qui proposent et en imposent  
actuel 102 : Militantisme La nouvelle vie de Chakib El Khiyari  
actuel 101 : Ramadan et frustrations 
N°100 : Portail de presse Tout n’est pas Net  
N°99 : Portrait MRE et politique  Le plaidoyer de Driss Ajbali
N° 98 : Oussama Assaidi La nouvelle star  
N° 97 : Faut-il lĂ©galiser le cannabis 
N° 96 : SantĂ© : Les blouses blanches font leur rĂ©volution  
N° 95 : Centre secret de TĂ©mara :  Tu ne pique-niqueras point
Actuel n°94 : Constitution : Ou sont les femmes  
N°93 : Rachid Niny LibertĂ© : Chouf Tchouf 
Actuel n°92 : Razzia sur notre histoire 
Actuel n°91 : Du rififi chez les architectes 
Actuel n°90 : Frimija : Avec les rouges dans le fromage  
Actuel n°89 : Il faut sauver le militant Chakib 
Actuel n°88 : Printemps marocain : Des instances et des questions 
Actuel n°87 : Qui veut la peau de Terrab 
Actuel n°86 : Le 20 mars de toutes les craintes 
Actuel n°85 : Souk Sebt : La mort, ultime cri de dĂ©sespoir 
Actuel n°84 : Dakhiliyines contre Sahraouis 
Actuel n°82 : Voleuse de voyageuses 
Actuel n°81 : Qui contrĂ´le nos mĂ©dicaments ? 
Actuel N°72 : Feuilletons historiques : La dĂ©ferlante iranienne  
Actuel n°69-70 : Eric Gerets 
Actuel n°68 : Syndicats : ras-le-bol gĂ©nĂ©ral 
Actuel n°67 : Gerets vs presse : ouverture des hostilitĂ©s 
Actuel n°66 : Collecte des dĂ©chets : faut-il enterrer la gestion dĂ©lĂ©guĂ©e ?
Actuel n°65 : Mon mari, ce tortionnaire 
Actuel n°64 : Code de la route, une semaine après !
Actuel n°63 : Code pĂ©nal : rĂ©forme ou rĂ©formette ? 
Actuel n°62 : Fès, la citĂ© de la peur 
Actuel n°61 : Les Amazighs roulent-ils pour IsraĂ«l ? 
Actuel n°60 : Oualidia, le palais oubliĂ© de Mohammed V
N°59 : Le Mali « dĂ©-jeĂ»ne » sur Facebook 
N°58 : Mariages : du tradi au plus trendy 
N°57 : RAM Ras-le-bol de ramer
N°56 : Travail domestique : de l’ordre Ă  la maison 
N°55 : Enseignement supĂ©rieur privĂ©, un cadre pour la rĂ©ussite
N°54 : Menace terroriste : Faut-il avoir peur ? 
N°53 : MĂ©decine La libĂ©ralisation de la discorde
N°52 : Espagne La fièvre anti-niqab monte
N°51 : Radio   Peur sur les ondes
N°50 : Argent, drogue et politique Liaisons très dangereuses
N°49 : Femmes cĂ©libataires, le grand dilemme 
N°48 : Botola  La fin de l’amateurisme
N°47 : Le Maroc, cyberparadis des hackers 
N°46 : Sexe Ă  la marocaine,  entre hram et hchouma
N°45 : Le (contre) bilan de santĂ© de Baddou 
N°44 : Pourquoi les homos font peur 
N°43 : Chefchaouen,  Ă©co-ville Ă  la conquĂŞte de l’oued
N°42 : Tremblement de terre :  Les sismologues veillent sur nous
N°41 : Changements climatiques, Ce qui nous attend...
N°40 : Demain, un Maroc laĂŻque ? 
N°39 : Francophonie ? Cacophonie 
N°38 : Malek Chebel L’anti Ramadan
N°37 : Cyclisme Les gloires oubliĂ©es de la « petite reine »
N°36 : MosquĂ©e de Meknès  Un drame et des questions
N°35 : Drogue Le baron fait tomber de grosses pointures
N°34 : Le Niqab et nous
N°33 : Internet Peut mieux faire!
N°32 : Code de la route Les enjeux d’un dĂ©brayage
N°31 : Environnement Ce que nos VIP en pensent
 
 
actuel 2010 Réalisation - xclic
A propos Nous contacter