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Entretien avec Dr Chaouki Alfaiz directeur de recherche Ă  l’INRA et prĂ©sident de B1A Maroc
actuel n°113, vendredi 21 octobre 2011
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« Il est urgent d’agir »

 

Récoltes anarchiques, vide juridique, inaction des responsables : des plantes marocaines disparaissent dans l’indifférence – et l’ignorance – générale. Pour le président d’une toute nouvelle association de protection de la biodiversité, il est urgent d’agir. Avant qu’il ne soit trop tard.


***

Quand on évoque les menaces qui pèsent sur la biodiversité au Maroc, on pense à la disparition du lion de l’Atlas ou des autruches marocaines. Il arrive que l’on y associe la faune marine avec 271 espèces classées comme rares ou en voie d’extinction.

Mais la flore est trop souvent négligée. C’est pour parer à cette ignorance et tirer la sonnette d’alarme que des chercheurs – agronomes et biologistes –, des forestiers et des écologistes viennent de créer l’association « Biodiversité et Agro-biodiversité Maroc (B1A Maroc) ».

De prime abord, le profil des membres de cette association peut surprendre. Pour la plupart, ils sont fonctionnaires et travaillent au sein d’organismes chargés de protéger l’environnement, tels que le Haut-commissariat aux Eaux et Forêts et à la lutte contre la désertification (HCEFLCD), ou l’Institut national de recherche agronomique (INRA).

Ainsi, son premier président, le docteur Chaouki Alfaiz, est directeur de recherche à l’INRA, spécialiste des fourrages, des plantes aromatiques et médicinales. Et c’est son métier qui lui a permis d’appréhender l’ampleur du problème…

actuel : Pourquoi avez-vous créé cette association ?

Dr Chaouki Alfaiz : Parce que la biodiversité au Maroc est menacée. En effet, si le Maroc est le deuxième pays du bassin méditerranéen par la richesse de sa biodiversité, son patrimoine est, lui, en danger. Aussi bien sa faune que sa flore. De nombreuses espèces de plantes sont en voie d’extinction.

Quelle est l’étendue des dégâts ?

L’effectif de certaines plantes est tellement restreint que même si on les protège, d’ici quelques années, elles seront éteintes : la population existante n’est pas suffisante pour assurer la survie de l’espèce.

Comme chez les animaux, pour qu’une espèce survive, il faut un effectif assez important permettant le brassage de gènes et la régénération de l’espèce. Il y a 4 500 espèces végétales au Maroc, dont 800 sont endémiques. Ces dernières sont les plus vulnérables, justement parce qu’elles n’existent que dans notre pays. Malheureusement, à ce jour, il n’y a pas d’étude documentée qui fasse l’inventaire des espèces végétales en danger d’extinction.

 

Cependant, vous avez relevé la quasi-disparition de plusieurs espèces ?

Oui, parce qu’à l’INRA et aux Eaux et Forêts, on fait beaucoup de terrain : on collecte des spécimens, on étudie les espèces dans leur milieu, etc. Il arrive qu’en visitant des sites relevés dans de vieux documents, on ne trouve plus les plantes répertoriées. Ainsi, le thym de Broussonet poussait dans une bonne partie du Maroc, et désormais, on ne trouve que des peuplements extrêmement restreints.

Sans programme de réintroduction, l’espèce est vouée à disparaître. L’origan marocain, véritable panacée dans la pharmacopée traditionnelle, est une autre plante endémique extrêmement menacée. Pour la trouver, il faut désormais aller dans des coins très reculés.

Aromatisée, riche en matières actives, elle est très demandée à l’international. On va vers son extinction si on continue à la récolter comme on le fait maintenant, en l’absence de toute réglementation. Il y a un véritable vide juridique en matière de protection de la flore.

Pourquoi protéger l’agro-biodiversité ?

Dans des montagnes ou des oasis isolées où les gens utilisent encore leurs propres semences, on trouve des variétés de plantes qui ont, au fil des siècles, développé une adaptation particulière à la région, à son climat, etc. Mais avec le développement des infrastructures, les semences commerciales des multinationales commencent à s’introduire dans ces zones.

Or, l’introduction d’une nouvelle variété est dangereuse, c’est une pollution génétique comparable à celle des OGM : avec son pollen, elle introduit de nouveaux gènes qui mettent à mal tout le travail accompli par la nature et les agriculteurs. On doit donc essayer de sensibiliser ces derniers à l’importance de leurs propres variétés, plus résistantes et qui se régénèrent rapidement.

Les gens ont rarement conscience de la valeur de ce patrimoine. Il faut leur expliquer ce qui fait la supériorité de leur variété : il y a des espèces de blé, par exemple, dont le goût et la teneur en protéines sont uniques ! Dans le cadre de l’agro-biodiversité, nous avons été approchés par Terre et Humanisme, une association qui travaille sur l’agriculture écologique.

Et concernant la faune ?

Pour le moment, les membres de l’association sont surtout des spécialistes de la flore. Dans une prochaine étape, nous mettrons en place des équipes qui plancheront sur la faune, en interaction avec les autres groupes de travail.

Une interaction qui est capitale pour la biodiversité : ainsi, les insectes pollinisateurs – qui ne sont pas forcément des abeilles – sont très importants pour la survie de certaines plantes. Pourtant, ils sont menacés par l’utilisation abusive de pesticides. Et si on les perd, les espèces qui en dépendent vont périr aussi.

C’est donc l’intensification de l’agriculture qui menace la biodiversité ?

C’est un des facteurs. A cause de l’usage abusif de pesticides ou de désherbants. Ainsi, deux espèces endémiques de camomille qui poussent dans les zones cultivées sont souvent victimes des désherbants répandus par des agriculteurs qui les prennent pour des mauvaises herbes !

Paradoxal, puisqu’en les exploitant, ils pourraient gagner plus qu’avec leur petite parcelle. Et il y a les autres « usual suspects » : changements climatiques (notamment la sécheresse), urbanisation, etc. Mais ce sont les récoltes anarchiques qui sont les plus destructrices.

Des quantités phénoménales de plantes sont prélevées sans penser à leur régénération, souvent en les déracinant. C’est le cas du pyrèthre marocain, en voie de disparition. Sa racine, récoltée pour la médecine traditionnelle, est aussi très prisée à l’international : son prix peut atteindre 400 dirhams le kilo.

Et il n’y a aucune législation qui protège ces plantes ?

Au niveau national, les lois sur la protection de la nature sont difficiles à faire appliquer. Même les parcs nationaux ne sont pas aussi protégés que ce que l’on pense : pâtures, braconnages, etc. Il faut donc agir au niveau de la douane, en interdisant l’exportation des plantes menacées pour freiner leur surexploitation.

Cela calmerait les ardeurs des personnes qui profitent de ce commerce. Sans scrupules, elles sont conscientes que certaines espèces se raréfient et profitent de la pauvreté et de l’ignorance des populations locales souvent payées 20 centimes le kilo, alors qu’elles collectent les plantes dans des conditions pénibles. Mais pour l’instant, il n’y a aucun texte juridique sur lequel s’appuyer pour interdire l’exportation d’une plante !

La menace qui pèse sur la biodiversité est-elle sous-estimée ?

Par les responsables, oui. Parce que nous faisons du terrain, nous sommes à la fois conscients du problème et frustrés devant le manque d’actions entreprises pour y faire face. On est parfois au bord des larmes devant l’étendue des pertes. Or, ce n’est pas une question de moyens, mais d’absence de volonté politique.

Dans l’idéal, il faudrait donc sensibiliser et réglementer ?

Oui, car si l’exploitation du thuya est en train d’être réglementée, cela reste à faire pour la centaine de plantes médicinales récoltées et exportées.

Il faut établir un inventaire, avec des données précises pour justifier la réglementation de leur exportation et la rationalisation de leur exploitation.

Peut-on encore sauver les plantes menacées d’extinction ?

A l’INRA, nous essayons de prélever ces plantes et de les élever dans des arboretums, ou bien de conserver leurs semences. Il faudrait initier un programme de réintroduction du thym et de l’origan, mais si nous maîtrisons théoriquement ce processus, nous n’avons malheureusement pas les moyens de le réaliser.

Sinon, on peut passer à la domestication de certaines espèces menacées. Ce n’est pas la meilleure solution, car la culture peut entraîner des dérives (pesticides, engrais, etc.), mais en respectant certaines règles, c’est faisable. Nous travaillons sur ce sujet, notamment pour l’origan.

Propos recueillis par Amanda Chapon

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