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Malek Chebel L’anti Ramadan
actuel n°38, samedi 13 mars 2010
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Anthropologue, spĂ©cialiste de l’islam, cet intellectuel d’origine algĂ©rienne est aujourd’hui une voix qui fait autoritĂ© sur les deux rives. L’esprit libre de ce savant de l’islam sait aller Ă  contre-courant des idĂ©es reçues en Orient comme en Occident. Entretien.

RencontrĂ© en marge de la confĂ©rence « Islam des lumiĂšres, lumiĂšres de l’islam » qu’il a prononcĂ©e devant une salle comble vendredi 5 mars dans le cadre de l’UniversitĂ© citoyenne de HEM Ă  Rabat, Malek Chebel est un homme simple, affable. DerriĂšre ses rĂ©ponses se proïŹ le cependant un des plus grands Ă©rudits de notre temps. Comptant pas moins de 29 ouvrages publiĂ©s et traduits dans 15 langues, sur les diffĂ©rents aspects de l’islam, de la traduction du Coran Ă  l’érotisme dans la culture musulmane, Chebel n’a pas peur de prendre des positions fermes, notamment celles appelant Ă  un islam libĂ©ral. Dans l’entretien qui suit, il nous Ă©claire sur les motifs des craintes de l’Occident envers l’islam et pointe du doigt la responsabilitĂ© des autoritĂ©s religieuses musulmanes. Il se dĂ©fend Ă©galement des critiques dont il fait l’objet.

L’islam est aujourd’hui l’objet de plus d’une critique et suscite des craintes, notamment celle du terrorisme. Est-ce vraiment le dogme qui pose problùme ?

MALEK CHEBEL : Je ne suis pas persuadĂ© Ă  100 % que l’islam soit associĂ© au terrorisme uniquement parce qu’il y a un lien de causalitĂ© direct. Si l’islam signiïŹ e aujourd’hui radicalisme, terrorisme et douleurs, c’est parce que les Occidentaux en ont peur. C’est une religion qu’ils ignorent et qui est, de plus, manipulĂ©e. Il existe des forces dans le monde d’aujourd’hui qui ont tout intĂ©rĂȘt Ă  ce que l’islam soit une religion de guerre et de conïŹ‚ it.

Qu’en est-il de la responsabilitĂ© des autoritĂ©s religieuses ? N’ont-elles pas un rĂŽle Ă  jouer pour lutter contre cette ignorance de l’islam en Occident ?

Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Depuis le 11 Septembre et jusqu’à nos jours, les autoritĂ©s religieuses n’ont pas jouĂ© le rĂŽle de mĂ©diateur qui est le leur. Elles n’ont Ă  aucun moment essayĂ© de temporiser les positions des uns et des autres. En cela, elles ont totalement failli. Pour nos autoritĂ©s religieuses, tout va trop vite. Elles n’ont pas la formation nĂ©cessaire pour suivre et rĂ©agir sur les Ă©vĂ©nements. Partant, nos religieux se sont retrouvĂ©s engluĂ©s dans des statuts ïŹ gĂ©s. Dans l’espoir qu’il s’agisse de phĂ©nomĂšnes ampliïŹ Ă©s par les mĂ©dias, ils ont adoptĂ© la politique de l’autruche. Ils n’ont pas compris qu’au XXIe siĂšcle, la position ïŹ gĂ©e est la position la plus contre productive qui soit. J’ai en tĂȘte cet imam britannique qui tout rĂ©cemment a Ă©mis une fatwa contre le terrorisme. Que faisait cet imam depuis tout ce temps, sinon attendre trop longtemps.

AprĂšs les minarets, la burqa suscite nombre de polĂ©miques en Europe. Qu’en pensez-vous ?

Si c’était une autre religion, ces dĂ©bats n’auraient pas mĂ©ritĂ© plus d’une brĂšve. Ce sont des Ă©piphĂ©nomĂšnes. La moralitĂ© est que l’islam fait peur. Tant qu’il n’est pas expliquĂ© de maniĂšre rationnelle, il restera une source d’inquiĂ©tudes. Et des personnes qualiïŹ Ă©es pour parler au nom de l’islam n’existent que peu ou pas. Pour en sortir, il faudrait que les autoritĂ©s religieuses musulmanes puissent s’exprimer sur les problĂšmes qui se posent Ă  l’islam ailleurs que dans leurs pays. Or, aujourd’hui, la religion est devenue une question de souverainetĂ©. Les autoritĂ©s religieuses marocaines s’expriment uniquement sur l’islam au Maroc et il en va de mĂȘme pour tous les autres pays.

A titre personnel, ĂȘtes-vous pour ou contre la « libertĂ© » de porter la burqa ?

Je suis contre la burqa, parce que l’islam, ce n’est pas un voile de plus. Je suis aussi contre le projet de loi l’interdisant, parce que cela revient Ă  prostituer la loi pour contrer une inïŹ me minoritĂ©. Or, la loi est censĂ©e ĂȘtre universelle et rĂ©gler les questions fondatrices d’un Ă©tat.

Les politiques veulent aujourd’hui qu’il y ait un islam marocain, un islam Ă©gyptien, français, espagnol
 Comment expliquez-vous cette tendance ?

Si cela continue, on ïŹ nira un jour par avoir un islam de Monaco. Sur le plan doctrinal, il n’y a qu’un seul islam. Mais il existe des pratiques et des lectures diffĂ©rentes. En sachant qu’entre sunnites marocains et sunnites afghans, il y a autant de diffĂ©rences qu’entre un sunnite et un chiite irakiens. Cette rĂ©cupĂ©ration est strictement politique.

Qu’en est-il de la tendance souïŹ e que favorisent certains États, comme c’est le cas au Maroc avec la boutchichia ?

Le terrorisme comme toutes les solutions sur-mesure qu’on a inventĂ©es ou recrĂ©Ă©es pour lui faire face ont une durĂ©e de vie de dix Ă  vingt ans. C’est comme les brigades rouges. Et toutes les manipulations, comme c’est le cas pour le souïŹ sme aujourd’hui, ne rendent pas service Ă  l’islam. Au contraire, elles favorisent les divergences. Je suis d’ailleurs Ă©tonnĂ© quand des Français de souche m’annoncent qu’ils se sont convertis Ă  l’islam par le biais d’une tariqa, notamment la boutchichia. Ce que ces gens-lĂ  ignorent, c’est qu’ils ne se convertissent pas Ă  l’islam, mais au souïŹ sme. Ce dernier est un prolongement, et non pas une porte d’accĂšs Ă  l’islam.

Croyez-vous en un dialogue interreligieux ?

Tout dialogue ne peut rĂ©ussir que si l’on se met d’accord sur l’objectif exact. En matiĂšre de religions, les uns comme les autres, juifs, chrĂ©tiens ou musulmans, viennent pour dĂ©montrer leur bonne foi, ce qui est un minimum pour un religieux, mais jamais pour s’écouter. Le motif est plus de l’ordre du prosĂ©lytisme, dans le sens de convertir autrui Ă  sa thĂšse. Alors que tout dialogue commence par mettre de cĂŽtĂ© ses croyances pour voir ce qu’on peut faire ensemble. Moi-mĂȘme j’anime une Ă©mission tĂ©lĂ© avec un juif et un chrĂ©tien. Mais on n’a jamais dialoguĂ© pour ainsi dire.

Pour cette Ă©mission comme pour nombre de vos interventions, on vous reproche justement le fait de parler au nom de la religion, sans ĂȘtre un religieux


Cela est vrai, mais on fait appel Ă  moi non pas sur la base de la religiositĂ©, mais pour ma connaissance de la religion. Je ne suis pas un imam et je ne veux pas l’ĂȘtre. Mais si vous prenez un imam, il ne fera jamais le poids devant des interlocuteurs autres que ceux partageant sa religion. Nos imams sont encore trop ritualistes. Le jour oĂč nous aurons des religieux avec un niveau intellectuel et un certain recul visĂ -vis de leur mosquĂ©e immĂ©diate, nous aurons tout gagnĂ©. Si mes travaux ont autant de succĂšs, ce n’est pas parce que je suis plus intelligent que les autres, mais seulement parce que je parle aux autres ; j’essaye d’expliquer et de mettre Ă  la portĂ©e de tous des choses qui, en apparence, sont compliquĂ©es. C’est une question de pĂ©dagogie.

Une pédagogie, mais aussi des casquettes. Vous en portez trop, diront vos détracteurs. Que répondez-vous ?

L’ensemble de ces casquettes est la somme de nombreuses tranches de vie. J’ai quatre doctorats, il est donc normal que je signe prĂ©sent quand une de mes qualitĂ©s est sollicitĂ©e. Autrement, je ne suis qu’anthropologue et, accessoirement, spĂ©cialiste de l’islam.

On vous critique Ă©galement pour vos positions, dĂ©fendant un islam « trop » light


Si ĂȘtre light veut dire ĂȘtre contre la guerre sainte, adapter les moyens aux ïŹ ns, prĂ©server autrui et ne pas couper les ponts du dialogue, je suis light. Un islam de confrontation nous enfonce dans le trou dans lequel nous nous trouvons dĂ©jĂ .

Que pensez-vous alors des positions radicalement opposées aux vÎtres que défend un certain Tariq Ramadan ?

Je lui ai toujours dit d’exposer plus clairement ses points de vue et de donner des repĂšres. Je lui ai toujours reprochĂ© le caractĂšre ïŹ‚ ou de ses assertions. Moi, j’ai choisi d’ĂȘtre plus sincĂšre.

Propos recueillis par Tarik Qattab

BIO EXPRESS

1953 Naissance Ă  Skikda.

1980 Doctorat en psychopathologie clinique et en psychanalyse Ă  Paris VII.

1982 Doctorat en anthropologie, ethnologie et sciences des religions puis doctorat en sciences politiques.

1984 Premier ouvrage Le corps en Islam , Ă©ditions PUF.

2008 Dernier livre en date L’Islam pour les Nuls, avec Malcolm Clark, Ă©ditions First.

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