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Ne faites pas entrer l’accusĂ© 
actuel n°146, vendredi 15 juin 2012
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« Akhtar al moujrimine » (Les criminels les plus dangereux) sur la deuxième chaîne et « Masrah al jarima » (Scène de crime) sur Medi 1TV font couler beaucoup d’encre ces derniers jours. Derrière la polémique, un meurtre dont le modus operandi aurait été inspiré par l’une de ces deux émissions.

 

Tout a commencé avec un meurtre récemment perpétré à Agadir. L’auteur de cet homicide volontaire a avoué à la police s’être inspiré de l’émission « Akhtar al moujrimine » pour commettre son crime. Repris par la presse, ces propos ont donné naissance à un débat qui a vite fait rage et a même atterri au Parlement. Une question orale relative au danger de ces émissions sur les téléspectateurs, notamment les jeunes, a été posée, lundi 4 juin, par le groupe parlementaire du RNI à la Chambre des représentants, présidé par Chafik Rachadi.

Dans sa rĂ©ponse aux dĂ©putĂ©s, le ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement, Mustapha El Khalfi, a dĂ©claré : « Les mĂ©dias publics ne doivent pas s’impliquer dans ce genre de programmes qui prĂ©sentent les criminels comme des hĂ©ros, ce qui contribue, d’une manière ou d’une autre, Ă  favoriser et Ă  banaliser la culture du crime. » Comprenez : ces Ă©missions incitent indirectement Ă  adopter des comportements criminels, et il faut donc s’en dĂ©barrasser.  Mais fidèle Ă  son habitude, El Khalfi ne voit pas tout en noir et blanc. « Certaines chaĂ®nes tĂ©lĂ©visĂ©es publiques ont fait des efforts pour projeter ce genre de programmes dans un but Ă©ducatif et prĂ©ventif, en vue de mettre en valeur les efforts de la sĂ»retĂ© nationale », a-t-il dit pour nuancer son propos.

Engouement

Le ministre n’a par ailleurs pas manqué de souligner l’engouement des Marocains pour ce genre d’émissions. « Les émissions traitant de sujets relatifs au crime sont considérablement regardées au Maroc, mais ne devraient pas tomber dans des logiques commerciales, comme elles ne doivent pas vulgariser les techniques criminelles (reconstitution de crimes) ni présenter les criminels comme des héros », a-t-il relevé.

Pour Zouhair Zrioui, directeur d’antenne et des programmes de 2M, cité par notre confrère Le Soir Echos, « la chaîne 2M a le droit de produire et de diffuser des émissions traitant des crimes, selon son cahier des charges ». « Toutefois, précise-t-il au journal, nous avons révisé le concept de l’émission suite aux réclamations des familles des criminels. Des modifications ont été entreprises après le quatrième ou le cinquième épisode, notamment le fait de ne pas faire apparaître le visage des condamnés. Nous ne divulguons plus tous les détails du crime. Nous faisons plus de la fiction. » Une révision, pour mémoire, qui a été entreprise suite à la dénonciation du CNDH (Conseil national des droits de l’homme). Le secrétaire général du CNDH, Mohamed Sebbar, avait saisi en 2011 la HACA (Haute autorité de la communication audiovisuelle) pour dénoncer ce qu’il qualifie de « graves violations des droits de l’homme et de l’éthique journalistique ». Depuis, Medi 1 TV affirme également avoir changé le contenu de son programme. Est-ce suffisant pour mettre fin à la polémique ?

A.H.E.

Trois questions Ă ... Ibtissam Lachgar, psychologue clinicienne-criminologue

« Le risque d’inspirer un comportement criminel est infime »

 

actuel. Faut-il garder ou supprimer ces émissions des grilles des télévisions publiques ?

Ibtissam Lachgar. Nous ne pouvons exclure ce type d’émissions de la grille télévisée, c’est une gageure démocratique. Mais nous pouvons, comme je l’ai dit auparavant, changer l’horaire, revoir certaines choses, comme par exemple les détails du crime, le choc dramatique, et traiter intelligemment les faits divers.

 

Ces émissions ne portent-elles pas atteinte à l’image des détenus qui, déjà, sont en train de purger leurs peines ?

D’une part, les détenus doivent donner leur accord pour que leur affaire passe à la télévision. D’autre part, les faits divers ont de tout temps fait partie de l’ensemble des sociétés. Il suffit juste de faire preuve d’une analyse pertinente des affaires diffusées en respectant le détenu. Qu’on le veuille ou non, le détenu est un être humain, pas un monstre. Il faut éviter d’en donner une image de pervers ou de « tordu ».

 

Ces programmes nuisent aussi aux proches de ces criminels. Et remuent le couteau dans la plaie. Ces familles ont-elles, Ă  votre avis, raison de protester contre la diffusion de ces contenus ?

Si des familles refusent la diffusion de l’émission traitant l’affaire les concernant, il est primordial de respecter leur choix. Pour d’autres au contraire, la diffusion peut avoir un effet libérateur. Aussi bien pour les proches du criminel que pour la victime elle-même.

 

Dans d’autres pays, ce genre d’émission (à l’image de « Faites entrer l’accusé » sur France 2) ne passe pas en prime time comme chez nous…

Les téléspectateurs en général se passionnent pour ce type d’émission. C’est d’autant plus le cas chez le public marocain. Le choix du prime time est donc délibéré. Il serait en effet préférable de passer ces programmes en deuxième partie de soirée.

 

Cela ne représente-t-il pas un danger surtout pour les mineurs qui risquent de s’en inspirer ?

Le risque de s’en inspirer est infime. Ce sont les aspects émotionnels, spectaculaires ou intrigants qui attirent la majorité des gens. Il existe donc très peu de risque de passage à l’acte inspiré de ces émissions (tout comme les séries télévisées du même genre).

Propos recueillis par Ali Hassan Eddehbi

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