Après le pique-nique ramadanesque interdit par les autorités en 2009, les « dé-jeûneurs » reprennent du service cette année en lançant un débat public sur le droit de ne pas observer le jeûne pendant le ramadan. Lubie ou nécessité vitale ? Le point.

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Mais  « tu n’as toujours pas honte, espèce de bouseux », « tu veux créer la fitna au Maroc. Tu combas Allah et son prophète. Tu iras en enfer toi et les juifs qui te soutiennent », « la mort vous attend, vous voilà prévenus ». Installé devant son ordinateur, Najib Chaouki, l’initiateur du groupe Facebook « Marocains pour le droit de ne pas jeûner pendant le ramadan », soupire en égrenant les dizaines de messages d’insultes (voire même des menaces de mort) qu’il reçoit quotidiennement sur son profil Facebook et sa boîte mail.

Quelques semaines avant le ramadan, ce cyberactiviste de 31 ans a relancé le débat sur l’abolition de l’article 222 du code pénal qui punit de 1 à 6 mois de prison les Marocains qui rompent le jeûne en public. Un débat déjà enclenché l’année dernière par le collectif « Mali » (Mouvement alternatif pour les libertés individuelles) qui avait tenté d’organiser un pique-nique de protestation dans une forêt aux alentours de Mohammedia. Une initiative finalement avortée par les autorités. Un an après, le débat exacerbe toujours autant les passions.

Cette fois-ci, les « dé-jeûneurs » veulent éviter la confrontation et appellent à un débat « serein » et « posé ». « Nous lançons un plaidoyer contre cette loi liberticide, anticonstitutionnelle (l’article 6 de la Constitution garantit la liberté de culte) et contraire aux conventions internationales. Pour la changer, il faut sensibiliser un maximum de gens et contribuer à changer les mentalités », résume Najib Chaouki qui mène cette campagne avec ses amis du Mali et une poignée d’autres jeunes qui relayent le message sur Internet et à travers les réseaux sociaux. Même si les « dé-jeûneurs » ont changé leur sandwich d’épaule, le débat est paradoxalement beaucoup plus soutenu cette année. C’est qu’en «terre d’islam », remettre en question une pratique aussi sacrée pour la société attire forcément les médias. Des chaînes satellitaires comme Al Jazeera, Al Arabiya, Al Hiwar, France 24 et la BBC ont invité sur leurs plateaux les jeunes du Mali. Des journaux marocains et même internationaux comme The Economist ou Sydsvenskan (un journal suédois !) leur ont consacré des articles.

Si pour Najib Chaouki et ses amis l’objectif est partiellement atteint à travers cette médiatisation, pour leurs détracteurs, ce débat n’en est pas un. « Si vous ne m’aviez pas appelé, je ne me serais même pas prononcé sur ce sujet », annonce d’emblée Abdelilah Benkirane, secrétaire général du PJD (Parti de la justice et du développement).

« Libres de le faire en privé »

Pour ce dernier, « le jeûne est un phénomène social au Maroc. La loi a été élaborée pour ne pas heurter le sentiment religieux des Marocains. Ceux qui ne veulent pas jeûner sont libres de le faire en privé. Quant à défier la loi, c’est de la provocation. »

Le prédicateur et parlementaire islamiste du Parti du renouveau et de la vertu (PRV) Abdelbari Zemzmi, abonde dans le même sens, estimant que ce débat est puéril :

« Quel service vont-ils rendre à la société en appelant à manger en public ? Qu’est-ce que cela a de constructif ? Rompre le jeûne publiquement ne servira qu’à attiser les tensions et à provoquer la fitna (discorde sociale). » Un grief avancé non seulement par les conservateurs et les islamistes mais également par une partie de la frange progressiste qui considère que tirer sur la corde du ramadan ne servira pas la cause des libertés individuelles.

Pour certains, ce débat n’est pas une priorité tant il existe des problèmes « beaucoup plus importants ». De plus, ils estiment que la société n’est pas prête à remettre en question une pratique aussi ancrée dans les mœurs.

« La société n’est pas prête pour de nombreux débats »

Dans le microcosme associatif, seule l’AMDH (Association marocaine des droits humains) affiche clairement son soutien à l’initiative du Mali. La présidente de l’ONG, Khadija Ryadi, qui a inscrit les libertés individuelles à l’ordre du jour du dernier Congrès, estime que ce débat est positif et pas du tout farfelu : « La société n’est pas prête pour de nombreux débats concernant les libertés individuelles. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas les évoquer et militer pour les atteindre. On ne peut pas toujours changer la loi ou faire appliquer les conventions internationales, mais il faut tout de même sensibiliser pour amener les Marocains à accepter la différence. »

Pour Najib Chaouki et ses amis, la campagne actuelle contre l’article 222 n’est que l’illustration d’un combat plus global pour la liberté de culte. « Nous avons choisi de commencer par cette loi parce qu’elle est particulièrement liberticide, notamment la formule ‘‘quiconque connu pour être musulman’’ qui suppose que tout Marocain est musulman par défaut. Que fait-on des minorités marocaines ? »

Que pensent les autorités du débat ? Pour l’heure, silence radio, si ce n’est cette information parue dans le quotidien Assabah qui fait état de l’arrestation de deux mineurs à Marrakech, le 19 août dernier, pour avoir mangé en public. « Je suis conscient qu’il faudra du temps avant que l’idée ne fasse son chemin. Heureusement qu’à côté des menaces et des insultes, je reçois également quelques témoignages de sympathie comme l’autre jour celui du vendeur d’un bureau de tabac qui m’a reconnu et m’a dit que ce que nous faisions était bien », conclut Najib Chaouki, qui compte s’attaquer à la liberté d’expression après le ramadan.

Zakaria Choukrallah