Casablanca accueille la dix-septième édition du SIEL du 11 au 20 février, l’occasion de faire le point sur le livre marocain d’expression française.

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Sept cent vingt exposants originaires de 38 pays et plus de 450 000 visiteurs ! L’édition 2010 du SIEL (Salon international de l’édition et du livre) à Casablanca avait fait le plein. Un succès phénoménal qui n’occulte pas la triste réalité d’un secteur balbutiant…

Pourtant la littérature francophone n’est pas née d’hier. Le premier livre marocain d’expression française date de 1932. Mosaïques ternies de Abdelkader Chatt a même été salué par l’Académie française.

Ahmed Sefrioui prend la relève, mais c’est Le passé simple de Driss Chraibi, publié en 1954, qui inaugure réellement ce genre littéraire. Tahar Benjelloun, dès les années  70, confirme la tendance, avant de devenir le premier Marocain prix Goncourt.

Et à la fin des années 80, l’édition au Maroc commence à publier des auteurs marocains d’expression française, mais avec précaution et en nombre limité. à titre d’exemple, et pour mieux comprendre, examinons des chiffres éloquents : Harry Potter a été vendu à plus de 400 millions d’exemplaires dans le monde et a été traduit en 67 langues, d’après l’agent de J.K. Rowling.

En France, un roman ordinaire bénéficie d’un premier tirage d’environ 3 000 exemplaires. S’il atteint les 20 000 ventes, c’est un vrai succès ; et on parle de best seller à partir de 100 000 exemplaires vendus. Mais au Maroc, il n’y a même pas de rentrée littéraire – elle laisse place à la rentrée scolaire – et les avis des éditeurs divergent quand il s’agit de quantifier un best seller.

Ainsi, les trois plus grandes maisons d’édition ne placent pas la barre à la même hauteur. Pour Abdelkader Retnani des éditions de la Croisée des chemins, un best seller au Maroc, c’est « 3 000 exemplaires vendus » ; selon Rachid Chraibi des éditions Marsam, c’est entre 5 000 et 10 000 exemplaires vendus ; et quant à Leila Chaouni des éditions Le Fennec, elle estime « qu’on ne peut pas parler de best seller si on met trois ans à vendre un livre, même si c’est à 10 000 exemplaires. Il faut évaluer la quantité et la durée ».

C’est pourquoi les écrivains marocains francophones préfèrent publier en France. Car ils sont assurés de bénéficier du prestige de certains labels, d’une qualité de publication garantie par une direction éditoriale rigoureuse, d’un pourcentage sur le prix de vente en rapport avec le pouvoir d’achat, d’une médiatisation audiovisuelle, et enfin de toute une politique du livre qui semble absente au Maroc.

Le manuscrit

Maltraité !

Fouad Laroui, écrivain sélectionné au prix Goncourt 2010, et auteur Des dents du topographe, nous livre sa vision du travail d’un (bon) éditeur : « Un éditeur travaille d’abord en amont. Il épluche les revues littéraires, il essaie de repérer de nouveaux talents, il sonde tous ceux qui font profession d’écrire (journalistes, universitaires), etc.

Parallèlement, il a un comité de lecture qui lit sérieusement tous les manuscrits reçus. Une fois un manuscrit retenu, il travaille avec l’auteur, lui fait des remarques pertinentes, l’accompagne et le met à l’aise jusqu’à la version finale.

Ensuite commence le travail de relations publiques : l’attaché de presse approche les médias et les critiques littéraires pour leur signaler la parution de l’ouvrage. Inutile de préciser qu’entre-temps, un contrat a été signé avec l’auteur, un à-valoir versé, etc.

Et au cours des années qui suivent, tous les six mois, l’éditeur adresse à l’auteur un relevé fidèle des ventes, des cessions de droit, etc., et lui verse ses droits d’auteur. Voilà donc ce qu’est un vrai éditeur. Avec cette définition, vous en connaissez beaucoup au Maroc? »

La plupart des éditeurs marocains respectent ce circuit. Ils ont tous un comité de lecture, travaillent sur le manuscrit et essaient de le promouvoir au mieux.

Les trois maisons d’édition citées plus haut produisent entre trente et quarante ouvrages par an : romans, essais, beaux livres, poésie, théâtre... Toutefois, les éditeurs s’accordent pour reconnaître les failles d’un secteur certes pionnier mais surtout démuni. En amont, le livre ne bénéficie que de subventions trop chiches – des « broutilles », aux dires des éditeurs – du ministère de la Culture ; et l’ambassade de France, depuis quelques années, ne dispose plus de budget. Enfin, le métier de directeur éditorial n’existe pas au Maroc et, en aval, celui de libraire commence à peine à émerger.

Le ministère de la Culture

Absent !

Aussi impensable que cela puisse paraître, le secteur du livre ne dispose d’aucune statistique ni étude. « Nous avions demandé au ministère de la Culture de réaliser une étude sur la production et la distribution du livre, nous explique Leila Chaouni, et cela a peut-être été fait quand Mohamed Achaari était ministre, mais nous n’y avons pas eu accès.

Aujourd’hui, avec Bensalem Himmich, nous n’avons toujours rien », poursuit-elle. Il n’y a donc pas de chiffres officiels sur la production et la distribution du livre. « Cela n’a jamais été fait, le seul indice que nous ayons, c’est la bibliothèque nationale qui, par le biais du dépôt légal, nous permet de savoir que la production est en progression constante.

Nous étions à 850 titres en 1987 et nous sommes à 2 000 titres en 2010 », explique Abdelkader Retnani, qui est non seulement éditeur, mais aussi distributeur de ses ouvrages et président de l’AMPL, l’Association marocaine des professionnels du livre.

D’après ces derniers, le soutien du ministère de la Culture reste trop limité, tant en matière de subventions que de participation aux salons du livre à l’étranger.

Pour recueillir l’avis du ministère, nous avons contacté le département Livre, dirigé par Hassan Nejmi. Nous avons insisté, à la limite du harcèlement, sans résultat.

La distribution

Défaillante !

Les deux plus gros distributeurs sont Sochepress et la Librairie Nationale. Cette dernière ne diffuse pas de livres marocains. Elle distribue des livres scolaires ainsi que toute la production d’Hachette puisqu’elle appartient à ce groupe qui réunit plusieurs maisons d’édition comme Stock, Fayard, Calmann-Lévy, Grasset…).

Sochepress, quant à lui, était il y a une dizaine d’années le distributeur principal. Cependant, au fil du temps, les éditeurs ont préféré se tourner vers de petits distributeurs. Pour Rachid Chraibi des éditions Marsam, « Sochepress retournait les livres invendus parfois déchiquetés et donc invendables ».

Mais ce que reprochent tous les éditeurs à l’ancien monopole, c’est l’absence d’une stratégie de valorisation et de suivi des livres en collaboration avec les librairies.

Pourtant, Sochepress continue à distribuer quelques maisons comme les éditions pour enfants Yomad, les éditions Tariq dirigées par Bichr Bennani, ou encore une nouvelle venue, créée en 2010, les éditions Librairie Porte d’Anfa.

Il réalise un suivi sur 800 points de vente et propose aux librairies les ouvrages en dépôt-vente ; ces dernières n’ayant pas à les payer si elles ne les vendent pas. « Les libraires doivent aussi faire leur travail et réclamer les ouvrages.

Chacun doit assumer sa responsabilité », explique Fatim-Zohra Abouchikhi, directrice du département Livre à Sochepress. « Nous faisons des sondages pour savoir où se réalisent la majorité des ventes pour régler notre distribution. Nous accordons des délais aux libraires et après un mois et demi de dépôt, nous faisons un premier sondage, puis d’autres, régulièrement.

Le ramassage final se fait après six mois. Les livres sont alors déposés dans le réseau presse pour leur donner une nouvelle chance d’être vendus. Quand le taux de vente est trop bas, nous rendons les invendus aux éditeurs », conclut-elle.

Malgré cela, certains éditeurs préfèrent distribuer par le biais de petits distributeurs ou par eux-mêmes, comme La Croisée des chemins. La maison d’édition diffuse ses titres grâce à son réseau. « Je suis à l’écoute de tous les libraires et points de vente que j’appelle régulièrement.

Et quand mes livres sortent un lundi, le vendredi, ils sont dans les librairies de tout le pays », explique Abdelkader Retnani. L’éditeur est particulièrement satisfait et optimiste : il a passé un accord avec le groupe Virgin Megastore à Marrakech pour présenter ses auteurs au café littéraire une fois par mois. « La Fnac à Casablanca, c’est bien aussi, dit-il. Ces groupes vont bousculer le système par leur professionnalisme. »

Libraire

Un métier émergent

Libraire est un métier à part entière qui exige une formation et des compétences. Au Maroc, seule une poignée de librairies est dirigée par des professionnels. Ainsi, le Carrefour des livres à Casablanca a été géré pendant des années par Marie-Louise Belarbi, que tous ceux qui aiment les livres connaissent.

Signatures d’auteurs, communication, présence : elle assurait son rôle de promoteur du livre avec maestria. C’est Yacine Retnani qui a pris la relève aujourd’hui. Avec un DUT en information et communication option Métiers du livre et un master en communication et industries culturelles obtenus à Paris, il a la formation adéquate.

Mais il ne suffit pas d’être formé, il faut aussi être passionné. Et il l’est. Il faut dire qu’il a grandi dans les livres, son père étant éditeur et sa mère gérant le Carrefour des arts. « Aujourd’hui, ce dont nous avons le plus besoin, c’est de formation et de passion. Le Carrefour des livres marche bien, son chiffre d’affaires est en augmentation et cela devrait être le cas de toutes les librairies si le travail était pris au sérieux », explique-t-il. Par travail sérieux, il entend organisation à toute épreuve, promotion des livres et présence continue.

Souad Balafrej, elle, dirige la librairie Kalila Wa Dimna à Rabat depuis 25 ans. « Le libraire a un métier ambigu. Il vend des livres et de ce fait gère un commerce. Mais il est aussi un acteur de la vie culturelle d’un quartier ou d’une ville. En choisissant parmi les dizaines de livres publiés chaque mois, en les disposant dans son espace pour en mettre certains en avant, en créant une animation autour, en fidélisant les lecteurs pour les inviter à fréquenter un lieu d’échange et de convivialité, il apporte sa contribution à l’animation culturelle d’une ville », explique-t-elle.

A Tanger, la librairie historique des Colonnes, qui appartenait aussi à Souad Balafrej, vient d’être cédée à Pierre Berger. Actuellement, c’est la librairie Les Insolites, dirigée par Stéphanie Gaou-Bernard, qui a pignon sur rue dans la ville du détroit : 54 m2 d’originalité, un espace bien agencé et le sourire et la disponibilité de Stéphanie.

« Le libraire se trouve sur une route à plusieurs voies. Il doit démocratiser le livre,  et surtout accepter avec humilité qu’il ne connaît pas tout de ses clients. Dans un pays où une partie de la population est totalement multilingue tandis qu’une autre partie, encore plus grande, ne maîtrise pas l’écrit, c’est assez complexe d’être exhaustif.

Il doit donc jongler, faire preuve d’habileté, de patience, d’écoute, d’ouverture d’esprit », nous explique-t-elle. « Un libraire c’est aussi la passerelle entre les auteurs, les artistes et le public. On se souvient d’un livre qui nous a sauvés ou changé notre vie... C’est souvent grâce à une rencontre ou à une discussion que l’on est arrivé à ‘‘rencontrer’’ ce livre. »

Si les libraires ne disposent pas encore d’une association, ils ont néanmoins rencontré en janvier le président de l’AILF, (l’Association internationale des librairies francophones), Michel Chouiri, pour établir un plan de travail.

Ce dernier leur a demandé de créer une association pour faciliter la mise en réseau et bénéficier de plans de formation. « Cela avance tout doucement », dit Yacine Retnani, à l’origine de cette rencontre, mais qui a l’air plutôt sceptique quant à la suite des opérations.

Les solutions

Communication et professionnalisme !

La communication, dans la bouche de tous, semble être la panacée. Pour Leila Chaouni : « L’avenir de l’édition au Maroc passe par la communication et plus particulièrement par l’implication de l’audiovisuel dans la promotion du livre.

Le livre devrait être présent aux infos, dans les émissions de radio », explique-elle. Younès Boumehdi, directeur de Hit Radio, dédiée à la jeunesse et « à 85% musicale », se dit ouvert à la promotion du livre si les éditeurs le lui demandent, et gratuitement.

« Nous avons, dans le cadre du Morning, invité Abdellah Taïa ou Driss Jaidane pour parler de leurs livres. Maintenant, nous n’avons pas de créneau spécifique dédié à une émission littéraire, cela ne correspondrait pas vraiment à notre public », explique-t-il.

De son côté, 2M a un prix pour la création littéraire, qui en est à sa cinquième édition cette année. Elle avait aussi une émission littéraire francophone, « Le temps de lire », animée par Adil Hajji, que peu de gens regardaient à cause de l’heure tardive de diffusion (à partir de minuit).

Et l’émission « Arts et lettres », animée par Omar Salim, n’a pas fait long feu. Mais 2M reste optimiste et persiste à vouloir créer des programmes sur le livre. Le directeur de l’antenne de la deuxième chaîne, M. Zrioui, nous a confié que « 2M était en train de mettre en place des concepts d’émission sur le livre qui devraient voir le jour d’ici quelques semaines ». Hamdoullah !

Et l’avenir ?

Numérique

« Les métiers du livre sont en mutation et appelés à court terme à de profonds changements », estime Souad Balafrej. L’introduction du numérique dans la fabrication et dans la vente des livres, l’apparition de supports autres que le papier constituent une révolution dont on commence à peine à ressentir l’ampleur.

Les pratiques culturelles ont changé, le temps consacré à la lecture a diminué, laissant place à d’autres activités : ordinateur, télévision, jeux vidéo. Des pans entiers de l’édition ont cédé place au numérique. Les dictionnaires et encyclopédies ont leur version sur le Net, moins encombrante et surtout moins onéreuse.

Il en est de même pour les guides de voyage, pour les ouvrages de médecine et bientôt sans doute pour les manuels scolaires.« Nous sommes en train de vivre une révolution aussi importante que celle de l’invention de l’imprimerie.

Les changements, nous devons nous y adapter. Notre pays qui a connu dans les vingt dernières années une émergence de l’édition “moderne”, ouverte sur les problèmes de société et sur l’actualité du monde, doit maintenant se préparer à cette grande révolution du numérique pour en faire un instrument de développement et de savoir.

L’avenir de notre jeunesse en dépend », conclut Souad Balafrej, propriétaire de la librairie Kalila Wa Dimna. Friands de nouvelles technologies, les Marocains sauront-il ajouter du contenu aux nouveaux contenants ?

Il faudra pour cela une volonté au plus haut niveau. Après avoir péniblement bâti une industrie du livre dans le pays, il est temps d’accélérer la mise en œuvre d’une nouvelle politique… numérique.

Moha Souag, publié au Maroc, éditions Eddif

On n’est pas toujours  obligé de tuer le père !

La condition du livre au Maroc est catastrophique. Il y a d’énormes lacunes dans la chaîne de production et de distribution du livre : si dans un pays de plus de trente millions d’habitants, on n’arrive pas à produire et à vendre plus de mille exemplaires, cela ne peut être que le signe d’un sous-développement culturel flagrant.

Son devenir est entre les mains des responsables politiques. Il est toujours temps de commencer une révolution pédagogique en introduisant la lecture à tous les niveaux scolaires, et en commençant par les écoles de professeurs !

Chaque pays a sa politique d’édition ; publier ailleurs dépend de plusieurs critères que les éditions étrangères imposent, qu’on les accepte ou pas. Publier au Maroc permet une plus grande liberté d’expression quoi qu’on en pense ! On n’est pas toujours obligé de tuer le père ou de dénoncer systématiquement les abus sexuels.

Fouad Laroui, publié au Seuil, sélectionné pour le prix Goncourt 2010 

Mon « éditeur » ne m’a jamais versé un centime !  

Cela vous étonne que tout le monde cherche à être publié à Paris ? Pour mon premier roman, mon éditeur parisien avait fait, à ma demande, une coédition avec un soi-disant « éditeur » casablancais.

Celui-ci n’ a jamais payé les droits de cession (pourtant, il avait signé un contrat...), n’a jamais versé un centime de droits d’auteur, n’a jamais envoyé le moindre relevé, ce qui fait qu’on ignore combien de livres il a imprimés, vendus, etc. Il n’a même jamais répondu aux lettres, fax, coups de fil de l’éditeur parisien, ce qui me semble le comble de la goujaterie !

A vous de tirer la conclusion. Cela dit, je viens de signer un contrat avec Le Fennec pour l’édition au Maroc de tous mes livres, une bonne dizaine au total.

Vous voyez que quand il y a des gens sérieux en face, je suis tout à fait partant pour publier au Maroc. J’espère qu’à l’avenir, il y aura de plus en plus de « vrais » éditeurs dans notre pays.

Entretien avec Abdelkader Retnani, éditions la Croisée des Chemins, président de l’APLM.

« Nous avons besoin d’un syndicat pour défendre les intérêts des professionnels »

Abdelkader Retnani est le patron des éditions la Croisée des Chemins et président de l’APLM (Association des professionnels du livre marocain). Cette année, pour le Salon du livre, il présente 25 nouvelles publications.

Au-delà de la croissance de la production, où en est le livre francophone aujourd’hui ?

Il se porte plutôt bien pour deux raisons : d’abord parce que nous sommes en compétition avec le livre français qui est deux fois plus cher que le livre marocain, ensuite parce qu’il y a l’émergence de jeunes auteurs ayant une vraie qualité littéraire qui ne cesse de s’améliorer.

Qu’en est-il des subventions ?

à ma connaissance et depuis 2007, il n’y a plus que des miettes réparties selon des procédures administratives par l’ambassade de France. Et certains éditeurs dont je fais partie rechignent à se lancer dans ces procédures. L’ambassade de France et le ministère de la Culture disposent aujourd’hui de moins de ressources, austérité et budgets restreints obligent.

Quelles sont les difficultés au niveau de la distribution ?

Elles sont énormes, et pour tous les éditeurs. Ceux qui passent par un diffuseur, en l’occurrence Sochepress, lui donnent les livres. S’il les vend, il prend 45 % à 50 % du prix de vente, et s’il ne les vend pas, les rend. 50 %, ce n’est pas beaucoup. Mon distributeur en France me prend 65 % sur le prix de vente. Mais en réalité, le distributeur ne se mouille pas trop. S’il contrôlait et suivait le livre, les chiffres d’affaires seraient doublés. Il pourrait par exemple faire des tournées, incitant les libraires à vendre, aidant à leur formation.

Libraire, c’est un vrai métier ailleurs ; qu’en est-il au Maroc ?

La majorité des libraires ne sont pas formés. Il existe une filière des métiers du livre dans les universités de Rabat et de Casablanca, mais la plupart des lauréats, une fois dans la vie active, rejoignent des agences de communication. Il faudrait sensibiliser les propriétaires aux avantages qu’il y aurait à engager de jeunes libraires diplômés.

Que pensez-vous de l’organisation du SIEL sur 16 éditions ?

Il y a eu une amélioration constante sur le plan organisationnel. Et nous avons reçu des invités prestigieux. L’année dernière, il y a eu cinq cent mille visiteurs dont quatre-vingt mille enfants non payants. Dans les stands arabophones, il paraît que les chiffres de vente sont époustouflants. Selon mon expérience, 75 % des lecteurs lisent en arabe et 25 % en français. Et c’est l’élite, qui dispose d’un pouvoir d’achat, qui lit en français.

Pourquoi y a-t-il deux associations du livre, l’APLM et l’APL (Association pour la promotion du livre) ?

Dans le domaine francophone, la première, c’est à dire l’APLM, a été créée en 1987 par un groupe dont je fais partie avec Leila Chaouni, Madame Douiri, et Monsieur Akdim.

En 2003, il y a eu une scission au sein de l’association et c’est comme ça qu’est née l’APL. C’est une bonne chose, une association dédiée à la promotion du livre. Mais, pour une nouvelle dynamique, il faudrait rassembler tout le monde au sein d’un syndicat pour défendre les intérêts des professionnels du livre auprès des institutions.

Le Salon du livre de Paris, c’est une opportunité pour le livre francophone marocain. Que fait le ministère de la Culture ?

Il paie le transport des livres. L’ambassade de France nous payait les stands jusqu’en 2007, année où le Maroc n’a pas participé au Salon, protestant contre le fait qu’Israël soit l’invité d’honneur.

Et depuis, l’ambassade de France ne paie plus. En 2008, le ministère de la Culture a pris en charge la totalité des charges, transport et stands. En 2010, il n’a pris en charge que 33 % des frais, 33 % ont été assumés par le ministère de l’Immigration, et 33 % par le CCME. Et nous avons eu un très beau stand prestige. Cette année en 2011, c’est le grand point d’interrogation. Ce serait malheureux de ne pas y être.

Propos recueillis par Bahaa Trabelsi

Youssouf Amine Elalamy, publié au Maroc et en France

L’édition marocaine offre plus d’espace à l’innovation... 

La situation du livre au Maroc est liée à l’avenir du livre dans son ensemble. Le livre connaît aujourd’hui un certain nombre de mutations à l’image de celles qu’a connues l’industrie musicale ces dernières années.

Les maisons d’édition marocaines ont donc le mérite d’exister dans un contexte qui ne leur est pas toujours favorable : nous vivons dans un monde largement dominé par l’image et la culture numériques, et il est de plus en plus difficile de trouver des amateurs de livres parmi les jeunes générations.

Bien entendu, on peut reprocher à l’édition marocaine un certain manque de professionnalisme : l’absence de correcteurs et de comités de lecture dignes de ce nom, un livre objet de moindre qualité qui n’obéit pas toujours aux normes graphiques et esthétiques.

Mais qu’en est-il des éditeurs étrangers et occidentaux en particulier ? Si leur fabrication du livre est irréprochable, on peut tout de même déplorer le fait que leur professionnalisme soit souvent synonyme de dirigisme.

Par exemple, ces éditeurs n’hésitent pas à orienter le contenu d’un roman pour répondre aux attentes des lecteurs et, souvent, sans même tenir compte du projet initial de l’auteur. Paradoxalement, et en l’absence de véritables directeurs littéraires, l’édition marocaine offre beaucoup plus d’espace à l’innovation et à la création.

Driss Jaydane , publié au Seuil

Pourquoi se faire éditer ailleurs ?

Il y a certainement plusieurs niveaux de réponse à cette question. La première, pour un auteur francophone, relève certainement du fait – qu’on a pu vérifier autrefois, mais qui tend à disparaître fort heureusement aujourd’hui –, qu’être édité au Maroc n’offre pas la possibilité de ressentir la publication d’un livre comme un « événement », tant personnel que public. écrire un livre est généralement un travail long, qui engage son auteur, qui le ravit et l’épuise.

Une culture du livre, c’est d’abord la reconnaissance de l’acte d’écrire, au-delà de l’estampille sur la couverture. Je pense que lorsque nous désirons être édités ailleurs, c’est aussi pour que ceux qui nous publient commencent par nous faire ressentir que ce que nous avons accompli doit être salué comme tel.

Ensuite, on discute fabrication, diffusion, lancement... C’est cela, éditer, être éditeur. Autre point : un livre, c’est du désir, celui de l’auteur pour ce qu’il écrit, et, en retour, celui du livre pour son auteur. Et celui de la société aussi, qui a sa part dans ce jeu du désir. La procréation d’un roman, d’un essai, suppose donc que la culture dans laquelle on baigne soit une culture désirante.

Voilà une bonne question à débattre, mais je doute qu’on la pose au Salon du livre : désirons-nous des livres ? En attendant la réponse... vous devinez la suite !

Abdellah Taïa, publié au Seuil, prix de Flore 2010

On n’encourage pas vraiment les Marocains à lire...

En 1997, avec trois amis, nous avons créé un cercle littéraire à Rabat. On l’a appelé le Cercle Littéraire de l’Océan. On se réunissait une fois par mois et on discutait, pendant plusieurs heures passionnantes, de nos textes écrits en français. Des nouvelles. Cette expérience a duré un an.

C’est un moment très important dans ma vie. C’est dans le cadre de ce cercle que j’ai écrit ma nouvelle D’un corps à l’autre, qui a été publiée plus tard dans mon premier livre Mon Maroc (Ed. Séguier, 2000), et que j’ai compris ce qui m’intéressait vraiment dans l’écriture.

La révélation d’un moment intérieur, intime. Jamais je n’ai pensé qu’une maison d’édition marocaine pourrait s’intéresser à mes textes. Je n’avais pas complètement tort. être à Paris m’a libéré de mes complexes de pauvre.

Oui, je peux tenter ma chance sans être systématiquement regardé de haut, sans qu’on me demande le nom de mon père. La France, et plus particulièrement Paris, n’appartient pas qu’aux Français.

D’une manière générale, on a encore besoin d’une politique du livre sérieuse au Maroc. On n’encourage pas vraiment les Marocains à lire, en arabe comme en français. Il est temps de se pencher sur ce grand problème. Il est temps que les propriétaires des maisons d’édition marocaines cessent d’être frileux, peureux : qu’ils s’engagent eux aussi, vraiment...

Censure et autocensure

Quand l’écriture  se heurte aux interdits

Le pain nu de Mohamed Choukri a été censuré pendant 17 ans et n’a été autorisé qu’en 2000. Au Maroc, aujourd’hui, officiellement, il n’y a plus de censure au niveau du livre. L’autocensure en revanche pourrait être une marque déposée.

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Il n’y a pas si longtemps, en novembre dernier, le livre de Abdellah Taïa, Le jour du Roi, pour lequel il a reçu le prix de Flore, était introuvable dans les librairies marocaines.

Le ministre de la Communication, Khalid Naciri, avait démenti catégoriquement avoir interdit la distribution du livre de Abdallah Taïa au Maroc et nous avait déclaré : « L’interdiction est du ressort exclusif du ministère de la Communication et je peux vous assurer qu’aucune mesure n’a été prise dans ce sens contre Le jour du Roi. »

Plus tard, le livre a été effectivement distribué dans les librairies et l’auteur a même procédé à plusieurs signatures dans le pays. Mohamed VI, le grand malentendu n’a, lui, jamais été distribué au Maroc.

Pour Ahmed Hidass, enseignant chercheur en droit des médias, « officiellement il n’y a ni texte, ni arrêté, ni dahir qui appliquent une censure sur les livres.

Dans la pratique, c’est le ministère de la Communication qui a certaines prérogatives mais, à ma connaissance, le ministère n’a jamais interdit un livre. Apparemment, certains ouvrages sensibles ne sont tout simplement pas importés.

Il est dommage que notre pays soit très en retard en matière d’édition, en comparaison avec d’autres pays proches de nous, par exemple la Tunisie (avant la chute de Ben Ali, ndlr) ».

En réalité, le choix de la censure est arbitraire et informel. Et surtout, les publications marocaines sont supposées être contrôlées par les éditeurs eux-mêmes.

Une autocensure parfois inconsciente

Pendant les années de plomb, l’autocensure était dans l’air du temps. Mahi Binebine, écrivain, nous raconte : « à l’époque de Hassan II, comme beaucoup d’artistes, il m’est arrivé de pratiquer l’autocensure.

Le pouvoir alors (et encore maintenant, mais dans une moindre mesure) était tatillon sur certains sujets. J’ai situé mon roman L’ombre du poète, qui dénonçait l’arbitraire du Makhzen, au palais du pacha El Glaoui, dans un certain sens, un alter ego du roi défunt.

Nous pratiquions toutes sortes de ruses pour contourner la censure. » Et en contournant la censure, on sombre forcément dans l’autocensure.

Des années plus tard, l’héritage est bien là. « Quelle que soit la liberté de ton que j’ai pu adopter dans mon premier roman, Coup de lune, je reste intimement convaincue que mon inconscient s’est chargé de censurer certaines idées que j’avais peur de développer par crainte de choquer, explique Abla Ababou.

Ceci dit, j’ai vécu le processus d’écriture comme une libération car je n’ai pas hésité à traiter de thèmes encore tabous dans notre société conservatrice, comme l’avortement, l’adultère, ou le poids de la religion. à aucun moment je n’ai cherché à m’inscrire dans le politiquement correct », poursuit-elle. Ce « politiquement correct » qui sévit aussi ailleurs.

Les limites de la société

Certains auteurs, dont, à leur demande,  nous ne citerons pas les noms, se sont vu refuser leurs manuscrits en France pour ces raisons.

On leur aurait demandé de retravailler leur texte en observant ce fameux « politiquement correct » qui consiste, par exemple, à encourager l’auteur à dénigrer l’islam pour l’associer aux clichés d’usage, tels la violence et le terrorisme.

Aujourd’hui, il est peut-être préférable de publier au Maroc pour conserver sa liberté ! Encore faut-il que l’auteur puisse dépasser les limites cette fois-ci imposées par la société.

« Je ne sais pas comment je fais pour affronter seul le monde, le Maroc, ma famille, ceux qui disent vouloir mon bien, nous confie Abdellah Taïa. Je continue malgré tout et je me dis à chaque fois qu’il est de mon devoir de parler de ces difficultés permanentes, de ces impossibilités scandaleuses.

Au Maroc, personne ne vous aide. Et cette guerre inutile n’aide pas à construire une identité libre pour le Marocain de demain. » Le Maroc de demain est confronté à une tâche ardue : se regarder en face et avancer.

Abla Ababou, publiée en France

Les Marocains ont bien les moyens de s’acheter des voitures ou des sacs de luxe !

La condition du livre francophone au Maroc est assez difficile vu le nombre réduit de lecteurs. Je ne rentrerai pas dans la polémique du prix excessif du livre en langue française car une minorité de Marocains n’hésitent pas à acheter des voitures, des sacs et des œuvres d’art à des prix faramineux.

Je considère donc que le prix n’est pas une barrière car l’amour de la lecture n’a pas de prix. Les auteurs marocains francophones ont peut-être leur part de responsabilité car très peu d’entre eux se placent dans l’universalité, surtout les femmes.

Quand on s’intéresse à la littérature maghrébine francophone, on réalise très vite que les récits traitent souvent des mêmes thèmes et sont d’un exotisme dans lequel on a du mal à se projeter.

Ceci dit, quelques romanciers marocains francophones comme Fouad Laroui et Safia Azzeddine pour ne citer que ces noms, s’imposent comme de vrais auteurs.

Il faudrait que la liste s’allonge pour que l’on commence à créer un véritable débat autour de la condition du livre francophone.