| Depuis des siècles, le site mĂ©galithique de Mzora repose en paix Ă  ciel ouvert en rĂ©sistant aux effets destructeurs du temps. Mais ce lieu mythique rĂ©sistera-t-il Ă  la folie des hommes ? Les archĂ©ologues dĂ©noncent des travaux effectuĂ©s par le ministère... de la Culture ! Le site est en train de changer de visage.   Ce que le temps a pris le soin de conserver, l’homme le dĂ©figure sans Ă©tats d’âme. L’histoire se passe Ă  Mzora, Ă  quelque 15 km au sud-est de la ville d’Asilah. L’histoire est au prĂ©sent et elle vient mutiler celle qui a durĂ© des siècles.  Le site archĂ©ologique de Mzora est un monument funĂ©raire exceptionnel que les spĂ©cialistes situent Ă  l’âge du bronze c’est-Ă -dire entre 1 500 et 900 ans avant JĂ©sus-Christ. Il est reprĂ©sentĂ© par un ensemble de 168 mĂ©galithes de 1 m 50 de hauteur dont se distingue « El Outed » du haut de ses 5 mètres.   Faire parler la pierre Youssouf Bokbot, professeur habilitĂ© au dĂ©partement PrĂ©histoire, Ă  l’Institut national des sciences de l’archĂ©ologie et du patrimoine de Rabat (INSAP) en parle avec passion. « Mzora est un monument exceptionnel dans toute l’Afrique du Nord. Unique dans son genre, ce monument funĂ©raire a, de tout temps, attirĂ© l’attention des voyageurs et explorateurs.  Il a Ă©tĂ©, semble-t-il, fouillĂ© dĂ©jĂ  pendant l’AntiquitĂ©, par le gĂ©nĂ©ral et homme d’Etat romain Quintus Sertorius, qui l’a pris pour le tombeau du gĂ©ant AntĂ©e, lĂ©gendaire roi de Libye nord-occidentale, tuĂ© par Hercule », nous expose le professeur qui frĂ©quente ce lieu depuis deux dĂ©cennies.  On aimerait bien croire Ă  la lĂ©gende mais le scientifique va vite nous ramener Ă  la rĂ©alitĂ© des choses. L’histoire de Mzora est très ancienne et, bien avant nous, d’autres chercheurs l’ont Ă©galement fantasmĂ©e et ont essayĂ© de faire parler la pierre.  Toutefois, la mĂ©thodologie n’a pas toujours Ă©tĂ© de la partie. C’est le cas de Montalban qui, « entre 1935 et 1936, a fait subir Ă  ce monument unique des fouilles dĂ©sastreuses. Les Ă©normes tranchĂ©es qu’il a pratiquĂ©es ont complètement dĂ©figurĂ© le site », se dĂ©sole le professeur Bokbot.   Des princes ? Des rois ? Aujourd’hui, le lieu funĂ©raire rĂ©siste aux curieux et semble vouloir garder les secrets de ceux qui y sont enterrĂ©s. Mais quel illustre personnage, chef, prince ou roi y a Ă©lu domicile ? MĂŞme si on n’arrive toujours pas Ă  le savoir avec prĂ©cision, le professeur Bokbot a tout de mĂŞme sa petite idĂ©e ou plutĂ´t son hypothèse : « Les monuments de Mzora et de Sidi Slimane ont Ă©tĂ© construits vraisemblablement Ă  l’époque prĂ©romaine pour des chefs, princes ou rois maures de la rĂ©gion.  Ils laissent supposer, en tout cas, la possibilitĂ© pour ceux qui les ont Ă©rigĂ©s de contraindre des dĂ©pendants Ă  un travail titanesque. L’importance de ces gigantesques monuments est Ă  prendre en considĂ©ration parce qu’ils supposent un pouvoir assez puissant et dĂ©notent une “surnaturalisation” des chefs tribaux qui s’élèvent au rang des rois. »  Alors qu’ils reposaient en paix depuis des siècles, ces supposĂ©s rois ont « vĂ©cu » des chamboulements ces derniers temps. Le site a reçu quelques visiteurs qui ont entamĂ© des travaux visant Ă  le moderniser !  Une clĂ´ture l’encercle aujourd’hui et une bâtisse en bĂ©ton y a Ă©lu domicile lui donnant un tout autre aspect, l’arrachant Ă  son contexte historique. « Ils ont dĂ©naturĂ© le site et dĂ©valorisĂ© ses composantes archĂ©ologiques. Ils ont transgressĂ© la zone de protection », s’insurge l’archĂ©ologue.   Bâtiment administratif  Mais qui sont-ils ? « Ils », ce sont les responsables de la direction du patrimoine au ministère de la Culture, Ă  l’origine de la bâtisse et de la clĂ´ture. Pour monsieur Sbihi, responsable de l’annexe de la direction rĂ©gionale de la Culture Ă  Larache, ce qui se passe est dans l’ordre des choses et sert plutĂ´t le site.  Â«â€‰C’est un projet d’amĂ©nagement Ă  deux composantes. Une clĂ´ture physique pour protĂ©ger les lieux ainsi qu’une unitĂ© de gestion administrative constituĂ©e d’une conservation et d’une salle d’exposition ; cela servira Ă  promouvoir le site. » Argument qui ne semble pas convaincre les archĂ©ologues. « La sauvegarde du patrimoine archĂ©ologique n’implique pas forcĂ©ment de le musĂ©ifier Ă  outrance », estiment-ils.  Comment faire alors pour protĂ©ger ce site sans le dĂ©naturer ? « Il faut lui redonner vie Ă  travers des projets de codĂ©veloppement qui doivent profiter des potentialitĂ©s naturelles et culturelles des rĂ©gions, pour contribuer Ă  leur essor socioĂ©conomique.  La mise en valeur du patrimoine archĂ©ologique, architectural, ethnographique et environnemental peut devenir l’un des moteurs principaux pour crĂ©er les conditions nĂ©cessaires Ă  l’amĂ©lioration du niveau de vie des populations. Le patrimoine peut devenir un bien Ă©conomique capable de gĂ©nĂ©rer des offres d’emploi », propose le professeur Bokbot.   1% Ă  2% du patrimoine archĂ©ologique Au Maroc, les programmes de fouilles archĂ©ologiques sont  souvent soutenus par des organisations non gouvernementales. Ces fouilles demeurent nĂ©anmoins onĂ©reuses et certains trĂ©sors archĂ©ologiques ont Ă©tĂ© dĂ©couverts par hasard. C’est le cas du site funĂ©raire de Sidi Slimane.  De toute Ă©vidence, la pierre de Mzora n’a pas encore rĂ©vĂ©lĂ© tous ses secrets. De nouvelles fouilles seraient probablement nĂ©cessaires. Mais, si on continue d’urbaniser le site, ne fermera-t-on pas pour de bon la porte aux recherches archĂ©ologiques dans ce secteur ? Faut-il rappeler que seulement 1% Ă  2% du patrimoine archĂ©ologique marocain fait l’objet d’études et de fouilles ? Amira GĂ©hanne Khalfallah |