| Politiques, Ă©conomiques, diffamatoires, surrĂ©alistes, orientĂ©es… les rumeurs ont circulĂ© ces dernières semaines Ă  la vitesse de l’éclair.  Mais une fausse information cache souvent une vĂ©ritable intox. 
 *** El Himma est nommĂ© ambassadeur Ă  Riyad, Mostafa Terrab prend les rĂŞnes de la primature, les chars encerclent la ville d’Al Hoceima, les manifestants du 20 fĂ©vrier sont des agents du Polisario ou encore les islamistes de Yassine projettent d’assassiner le pape ! Tous ces « scoops » ont Ă©tĂ© repris par les mĂ©dias du cru et certains ont mĂŞme fait la une de journaux Ă©trangers. Rares sont les publications qui ont rĂ©sistĂ© au rouleau compresseur de la rumeur, certains mĂŞme y ont participĂ© avec une complaisance douteuse. Au-delĂ  de l’angoisse du lendemain, des incertitudes qui planent sur l’avenir du monde arabe, des images d’une rare violence qui nous parviennent de Libye ou de Tunisie, c’est indĂ©niablement la rumeur qui cause en ce moment le plus de prĂ©judices aux Marocains. Et des rumeurs, on en a eu Ă  profusion depuis le coup d’envoi du 20 fĂ©vrier. Par ces temps incertains, les intĂ©gristes de la dĂ©sinformation usent et abusent de raccourcis, d’amalgames, tronquent volontairement les faits, en prĂ©sentent d’autres avec un parti-pris Ă©vident. Entre rumeurs, intox et propagande, il y a un fil conducteur ; la volontĂ© Ă©vidente, bien que non avouĂ©e, non pas d’informer mais de nuire ou de dĂ©placer l’intĂ©rĂŞt. Cela a dĂ©marrĂ© avec l’annulation de la marche du 20 fĂ©vrier annoncĂ©e en grande pompe par la MAP. En fait, l’agence s’était fondĂ©e sur la dĂ©fection de quelques personnes pour balancer une fausse information, immĂ©diatement reprise par les mĂ©dias officiels. Le procĂ©dĂ© est d’une moralitĂ© douteuse mais lĂ , au moins, on sait Ă  qui le crime profite. Pour dĂ©crĂ©dibiliser  le mouvement, on est allĂ© mĂŞme jusqu’à trafiquer une photo oĂą l’on voit une jeune fille liĂ©e aux jeunes du 20 fĂ©vrier dans les bras du leader du Polisario !  Panique totale Sur le registre de l’attaque politique, le gouvernement El Fassi a eu droit Ă  la totale : le jeudi 24 fĂ©vrier, jour de bouclage pour la plupart des hebdos, l’imminence d’un remaniement paralysait les rĂ©dactions, les tĂ©lĂ©phones explosaient, le Web Ă©tait quasiment saturĂ©. La panique a atteint son comble quand les plus consciencieux des journalistes, essayant de joindre tel ou tel ministre, tombaient sur la boĂ®te vocale de tĂ©lĂ©phones Ă©teints. (En rĂ©alitĂ©, tout ce beau monde Ă©tait en conseil de gouvernement). Le lendemain, les quotidiens titraient sur « Abbas El Fassi rentrĂ© en catastrophe de Qatar » pour rejoindre le roi Ă  Marrakech, et ĂŞtre sommĂ© de rendre son tablier. Ă  leur dĂ©charge, les journalistes ont souvent Ă©tĂ© servis en rumeurs qui se sont avĂ©rĂ©es ĂŞtre de vĂ©ritables informations non encore confirmĂ©es ou parfois mollement dĂ©menties par des sources officielles.  Â«â€‰Fronde de mots » Qui veut la peau d’El Fassi ? Face aux candidats qui se bousculent au portillon, il serait hautement hasardeux de s’en tenir aux adversaires politiques de l’Istiqlal puisqu’il y a Ă©galement les vizirs qui ambitionnent de prendre la tĂŞte du premier parti du Maroc, les « casseurs » de Fassis, etc. Cette « fronde des mots » vise souvent beaucoup plus les mĹ“urs des dĂ©tenteurs du pouvoir. C’est pour cela que l’on colporte autant de ragots sur la puissance supposĂ©e ou rĂ©elle des Fassi et Fassi Fihri.  Quand El Fassi a Ă©tĂ© jetĂ© en pâture Ă  un lectorat qui en redemandait, d’autres mĂ©dias se sont spĂ©cialisĂ©s dans la constitution de la nouvelle Ă©quipe gouvernementale. Driss Jettou a Ă©tĂ© rapidement Ă©vacuĂ© pour laisser place Ă  Mostafa Terrab qui « aurait dĂ©jĂ  ramassĂ© ses affaires pour quitter  son bureau de l’OCP ». VĂ©rification faite, l’homme qui avait pris quelques jours de repos, a appris sa nomination dans les colonnes des journaux. Pourquoi Terrab ? « Dans le milieu des affaires, il y en a beaucoup qui aimeraient voir Terrab quitter le mastodonte phosphatier, dont les anciens caciques qui ont perdu les passe-droits de l’ère Mourad ChĂ©rif », souffle un proche de ces milieux.  Quant Ă  El Himma, la promesse de le voir terminer sa carrière sous d’autres cieux hante les rĂŞves de nombreux hommes politiques, et pas seulement en raison de sa proximitĂ© avec le roi. Il suffit de savoir que l’homme a passĂ© le plus gros de sa carrière au sein du ministère de l’IntĂ©rieur, « la mère » des ministères comme se plaisait Ă  le rĂ©pĂ©ter Driss Basri, ce dĂ©partement ayant un Ĺ“il sur tous les dossiers sensibles, pour comprendre la fĂ©brilitĂ© des politiques.  Qui, bien entendu, n’hĂ©sitent pas Ă  faire le parallèle entre le RCD de Ben Ali et le PAM de FAH. Son lieutenant, Ilyas Omari, n’est pas en reste puisque l’homme a Ă©tĂ© donnĂ© en fuite Ă  Paris oĂą il aurait demandĂ© l’asile politique. Il est clair que la politique est l’un des terrains privilĂ©giĂ©s de la rumeur mais on ne peut ignorer la dĂ©sinformation financière et les rumeurs distillĂ©es savamment sur tel ou tel secteur, tel ou tel opĂ©rateur Ă©conomique.  Or, avec la nervositĂ© des marchĂ©s, une rumeur peut très rapidement faire chuter – ou grimper – artificiellement des cours. Cette fois-ci, c’est au cours de la manif du 20 fĂ©vrier que la rumeur a fait des siennes. Avec des hommes d’affaires comme Miloud Chaâbi ou Noureddine Ayouch descendus sur le terrain, il fallait bien s’attendre au buzz. Le lendemain, on a eu droit Ă  Attijariwafa bank qui allait changer de mains, Lesieur sur le point d’être mise en vente, etc. Tout cela pour signifier que le roi devait se dĂ©sengager des affaires. Alors que l’affaire est entendue depuis le fameux conseil de l’ONA, en mars 2010, qui a dĂ©bouchĂ© sur la fusion de l’ONA et de la SNI. Une dĂ©cision qui a tout de suite permis de faire taire les rumeurs qui prĂ©tendaient que le roi dĂ©tenait 30 % de l’économie du Maroc.  Pourquoi autant de rumeurs ?   Hammadi Bekouchi explique que le silence de l’appareil d’état, des politiques, au moment oĂą la rue bouillonne, est perçu comme une insulte aux attentes des jeunes. « Manque de communication ou mauvaise communication, c’est du pareil au mĂŞme. Regardez ce qui s’est passĂ© Ă  Dakhla. Sur les tĂ©lĂ©s marocaines, on nous a servi un wali, un sĂ©curitaire qui est venu fustiger les ennemis de la nation qui seraient derrière ces troubles ; sur France Culture, le directeur du festival a tout simplement expliquĂ© que dans tout Ă©vĂ©nement oĂą sont rassemblĂ©s des milliers de jeunes, il y a forcĂ©ment de la casse ! » prĂ©cise le professeur en sociologie. En somme, la rumeur serait antithĂ©tique Ă  la libertĂ© d’expression, elle est fortement tributaire de l’absence de communication du cĂ´tĂ© du pouvoir. Et forcĂ©ment, la rumeur canalise les discours. « La première caractĂ©ristique de la rumeur, c’est qu’elle n’a pas d’auteur : on la tient d’untel, qui lui-mĂŞme l’a su de… Remonter Ă  la source est quasiment impossible sinon la rumeur deviendrait une information. Cette facilitĂ© explique l’usage immodĂ©rĂ© qu’on en fait dans des sociĂ©tĂ©s comme la nĂ´tre oĂą la parole n’est pas encore totalement libre », commente ce spĂ©cialiste. La rumeur peut-elle ĂŞtre dangereuse ? Oui, au moment oĂą le Web permet de faire circuler n’importe quoi, Ă  une vitesse phĂ©nomĂ©nale, rien n’est plus hasardeux que de laisser la rumeur prendre la place de l’information. Lâcher la bride Ă  la rumeur en temps de crise peut dĂ©boucher sur la subversion, surtout Ă  un moment oĂą il est devenu de plus en plus difficile de pouvoir juger de la crĂ©dibilitĂ© d’une information. Alors que le malaise, lui, est bien rĂ©el. Les jeunes du 20 fĂ©vrier ne sont pas des agents du Polisario, les revendications de la rue pour l’instauration d’une justice sociale, le partage des richesses ou la fin de l’impunitĂ© ne relèvent pas de l’intox.  Abdellatif El Azizi |