Entretien avec Anass Alami, directeur général de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG).
Maintenant que la CDG contrôle le CIH, alors qu’elle a déjà un pied dans BMCE Bank et siège au conseil d’administration de Barid Al-Maghrib, maison mère de la Banque Postale, un chamboulement pourrait intervenir dans les prochaines années. Mais pas avant que le CIH ne parachève ses chantiers. Anass Alami passe en revue, en exclusivité pour actuel, les différents scénarii. Et dit tout sur les options stratégiques du bras armé de l’Etat.
actuel : La CDG est sur tous les fronts. Quelle est votre stratégie d’investissement ?
Anass Alami : Il est bon de rappeler que la CDG accompagne la politique du gouvernement en matière d’investissement, tout en veillant à la rentabilité des projets, condition nécessaire pour consolider son image de tiers de confiance, tant auprès de ses partenaires que de ses déposants.
Son plan stratégique 2011-2015 constitue le socle de la gestion de son portefeuille. Un portefeuille constitué en cohérence avec le modèle d’allocation de capital économique (CapEco) mis en place en 2011, et qui permet d’optimiser les placements par rapport au couple rendement/risque des projets.
Ainsi, à chaque prise de décision, que ce soit dans le cadre du plan stratégique 2011-2015, ou des opportunités qui se présentent, nous revenons toujours au modèle de référence, CapEco, pour évaluer le couple rendement/risque.
En 2011, la CDG s’est engagée dans les stations Azur, notamment celle de Saïdia. Qu’est-ce qui a motivé cette nouvelle aventure ?
C’est l’occasion de contribuer au développement de cette station qui recèle un potentiel énorme. Pour chaque investissement, la CDG se demande quelle peut être sa valeur ajoutée dans le projet.
Dans le tourisme, nous avons une expertise et des compétences humaines. Donc d’un côté, nous avons un bon produit, de l’autre, un actionnaire doté d’un savoir-faire. A Saïdia, nous détenons l’hôtel Be Live depuis deux ans, géré par notre partenaire Globalia. L’hôtel marche bien et affiche un taux d’occupation correct. Globalia est un tour opérateur intégré qui apporte du flux grâce à sa flotte aérienne. Et la CDG, en tant qu’actionnaire, est très impliquée dans la prise de décision.
Il n’y a pas de secret : le retour sur investissement dans le tourisme peut être intéressant sur le long terme, si vous entretenez une proximité avec le projet, le pilotez avec méticulosité et choisissez un partenaire professionnel.
La CDG bénéficie donc d’une expérience dans le secteur et dans la région sur laquelle elle peut capitaliser. Mais le diagnostic réalisé confirme qu’il y a des recadrages à faire pour la station Saïdia. Ils sont identifiés, nous sommes pris par le temps, mais il faut faire vite pour être au rendez-vous de la prochaine saison estivale.
Quelles améliorations sont à attendre ?
Le réseau d’assainissement est à revoir de manière très approfondie. Au niveau du concept, la station gagnerait à être plus proche d’une station touristique que d’une station immobilière.
Il faut donc faire des ajustements et améliorer l’attractivité de la station. Par exemple, cette région est riche en eau. Cela peut être un atout, à condition de canaliser cette eau et de la mettre en valeur pour en faire une source d’attractivité.
Par ailleurs, il faut allonger la période de la saison estivale en misant sur les activités Business et Enfants par exemple. D’autres volets sont à l’étude pour une mise en place rapide. Le concept de la médina doit être revu et la marina améliorée.
Et pour la station Taghazout ?
Taghazout est une très belle station, une extension naturelle de la destination Agadir. La capitale du Souss a besoin de se régénérer, et Taghazout est tout indiquée pour cela. Nous n’avons pas hésité à saisir l’opportunité. Nous sommes avec des partenaires de premier ordre, aux rôles clairement définis. Les TO ont manifesté leur intérêt grâce à une saison estivale plus longue. La rentabilité du projet est quasi assurée vu l’intérêt des investisseurs.
Quels sont les points de blocage pour Lixus ?
Pour Lixus, les discussions n’ont pas encore abouti. Nous sommes ouverts au schéma qui correspond le mieux aux partenaires, compte tenu de nos contraintes respectives. Nous devons définir notre valeur ajoutée dans ce projet et préciser le degré de flexibilité pour mener à bien ce projet en tant que chef de file. Ensuite, il faut tenir compte des considérations financières.
Quel est votre constat sur ce concept de stations balnéaires, dont le calendrier de réalisation ne cesse d’être remis en cause ?
Nous n’avons pas le choix. Le tourisme est un secteur clé. La création de destinations touristiques est essentielle, le passage par les stations aussi. Il ne faut pas y renoncer à cause de la crise internationale et de la rareté des liquidités.
Ce sont des projets extrêmement capitalistiques qui nécessitent une confiance du marché financier mondial.
Cela retarde les réalisations, mais il n’est pas question d’y renoncer.
Le Maroc donne tout de même l’impression de se chercher, au lieu de s’inspirer des modèles qui marchent ailleurs, qui offrent confort, loisirs et sécurité…
Le modèle global des stations Azur est bien réfléchi, il a fait ses preuves ailleurs et le fera au Maroc. Le goulot d’étranglement est clairement identifié, c’est l’aspect très capitalistique de ces projets. D’autant que ces stations ont besoin de monter rapidement en charge. Donc, il faut mobiliser des fonds colossaux et rapidement. En temps de crise, cela est difficile, mais pas impossible.
Ensuite, la Vision 2020 renforce l’offre litière par une proposition d’animation touristique déclinée selon les particularités régionales. C’est la vocation du Fonds marocain de développement touristique et du fonds Wissal. De son côté, la CDG accélère le rythme de création des lits. Je suis convaincu que l’on réussira, c’est juste une question de temps.
L’exercice 2011 est aussi marqué par votre prise de contrôle du Crédit immobilier et hôtelier. Avec quel objectif ?
Suite aux discussions avec BPCE relatives aux positions dans le capital du CIH, la CDG a saisi l’opportunité de renforcer sa présence.
Comme nous croyons beaucoup dans le potentiel du CIH, nous avons saisi l’opportunité en veillant à ce que l’opération ne perturbe ni notre stratégie globale, ni l’équilibre de notre modèle d’allocation du capital économique.
Alors, quel avenir pour le CIH ?
Cette banque a beaucoup de potentiel, une expertise dans le financement de l’immobilier et elle dispose d’un réseau intéressant. Le CIH est en mesure de développer une panoplie de segments et de produits nouveaux comme la banque de l’Entreprise ou le crédit à la consommation et les produits d’épargne, sources de croissance et de bénéfices futurs.
Un rapprochement avec BMCE Bank est-il envisageable ?
Si un projet susceptible d’accélérer cette croissance se présente, pourquoi pas ? Mais cela me paraît difficile car nous sommes à une phase de consolidation de plusieurs chantiers. Si un partenaire potentiel est prêt à accélérer davantage le processus, nous pouvons étudier l’offre.
Mais il faut qu’il vienne avec un projet industriel créateur de plus de valeur que celui engagé par le CIH aujourd’hui. Sachant que le CIH, tout en développant la banque universelle, continuera à renforcer son cœur de métier, le financement du logement.
La Banque Postale ne serait-elle pas un partenaire intéressant avec des synergies possibles dans le crédit au logement social et à la consommation ?
C’est vrai, il y a des recherches de synergies et des discussions régulières entre le CIH et la Banque Postale, tout comme celle-ci en a avec d’autres partenaires. La relation entre la Banque Postale et la CDG est stratégique, tout comme celle qui lie la CDG au CIH. Pour l’instant, nous sommes dans une logique de synergie opérationnelle entre les deux structures, sans plus.
Peut-on s’attendre en 2012 à une opération stratégique de cet ordre ?
Je ne le pense pas. La Banque Postale évolue bien et continue à enrichir sa gamme de produits. Le CIH œuvre également pour développer la banque de l’Entreprise. A chacune son chemin de croissance. Pour l’instant, il n’y a pas vraiment de raison de les rapprocher.
Mais la CDG est l’actionnaire majoritaire du CIH et siège au conseil d’administration de Barid Al-Maghrib, maison mère de la Banque Postale. Elle tient les manettes…
Effectivement, nous entretenons avec Barid Al-Maghrib une relation institutionnelle très forte. Mais il est prématuré de penser à un rapprochement entre les deux structures. En tout cas, il ne peut être envisagé à court terme.
Hormis les pôles touristique et bancaire, quels sont les autres secteurs à potentiel pour la CDG ?
Même si cela est moins visible, la CDG est engagée sur le plan industriel via MedZ. Je pense particulièrement à Atlantic Free Zone à Kénitra, et à la concrétisation – enfin –du projet Renault. D’ailleurs, nous ne sommes pas présents uniquement aux côtés du constructeur français, mais tout au long de la chaîne, au niveau du port Tanger Med.
Sans oublier les autres plateformes industrielles comme Haliopolis d’Agadir, la zone de Jorf Lasfar dédiée à l’industrie lourde, la technopole d’Oujda axée sur les énergies renouvelables qui commence à attirer des investisseurs, tout comme les agropoles de Berkane et de Meknès.
Parallèlement, nous avons développé l’offshoring à Casablanca et Rabat, et plus récemment à Oujda et Fès dont la plateforme est pratiquement prête. Ces deux-là sont des bassins d’emplois qualifiés importants où la main-d’œuvre est encore plus compétitive. Des études de marché sont en cours pour Marrakech et Agadir.
Quel est, aujourd’hui, le périmètre du portefeuille de votre filiale Fipar ?
Elle est présente dans les services (Méditel), l’industrie (Renault Tanger Méditerranée, Ciments du Maroc, Safilait, Colorado…) et les infrastructures (Tanger Med Port Autorithy …).
Fipar prévoit d’investir près de 3 milliards de dirhams d’ici à 2015 dans des secteurs à forte valeur ajoutée, susceptibles de renforcer la compétitivité des entreprises marocaines. Des discussions sont en cours autour de projets de plateformes logistiques par exemple.
Notre ambition est également de renforcer la présence de l’industrie locale auprès du consommateur en misant sur les marques marocaines. A ce jour, le Maroc a énormément investi dans les infrastructures, contribué à améliorer la compétitivité des entreprises et le niveau de vie du consommateur.
Il est temps de renforcer les marques nationales pour éviter que ce surplus de pouvoir d’achat ne se transforme en importations et en déficit commercial. Fipar a d’ores et déjà engagé ce processus avec la marque de produits laitiers Jibal de la société Safilait. D’autres projets sont à l’étude.
Où en est l’introduction en Bourse de Fipar ?
Pour mobiliser 3 milliards de dirhams à l’horizon 2015, différentes options s’offrent à nous, y compris l’introduction en Bourse. Mais rien n’est tranché. Si l’on opte pour la Bourse, ce ne sera pas une petite opération.
Il faut que les conditions du marché financier soient optimales, que le moment soit opportun de manière à susciter l’intérêt des investisseurs, que les dispositions de la nouvelle loi de Finances soient connues, sans oublier les conditions optimales de valorisation de Fipar. Il faut que tous ces paramètres soient réunis avant de décider d’aller en Bourse.
Hormis cette option, quels sont les autres modes de financement possibles ?
Aujourd’hui, Fipar a les moyens de financer sa croissance, par ses propres moyens et via son actionnaire de référence, la CDG. Fipar est un bel outil, sa place sur le marché de l’investissement est très bien établie. La société pourrait aussi ouvrir son capital à d’autres investisseurs institutionnels.
Ne craignez-vous pas que l’on reproche, une fois de plus, à la CDG, de tisser sa toile, et de faire ainsi main basse sur l’économie nationale ?
La ligne de conduite de la CDG qui a toujours prévalu, quel que soit le directeur général, est de protéger en priorité la CDG, au sens financier du terme. L’Etat a des investissements à long terme à réaliser, qui requièrent un souffle long. Alors, oui, la CDG est le bras financier de l’Etat lorsque celui-ci ne trouve pas de répondant dans le secteur privé.
Par exemple, le plan pour l’offshoring n’a pas été conçu pour la CDG, mais pour les investisseurs privés de l’immobilier. L’Etat s’est engagé à attirer les opérateurs internationaux dans ces plateformes pour peu qu’elles soient réalisées par les promoteurs.
Idem pour les P2I, les plateformes industrielles intégrées. Il est vrai qu’il faut un souffle long. Quand les acteurs privés ne suivent pas, l’Etat se tourne vers la CDG. Si la rentabilité dégagée n’est pas suffisante, nous le faisons savoir au gouvernement et des recadrages sont opérés pour garantir la rentabilité requise. Face aux besoins énormes du pays, la CDG est plus souvent sollicitée. D’où l’impression qu’elle intervient partout.
Il se dit aussi que la CDG bénéficie de conditions préférentielles lui permettant d’accompagner ces projets à long terme, qu’en est-il ?
Cette perception n’est pas tout à fait vraie. Quand on décroche des avantages, on les répercute, à la sortie, sur l’opérateur privé. La CDG n’est qu’une courroie de transmission de ces avantages. Pour les terrains des zones industrielles, par exemple, si l’on bénéficie de tarifs préférentiels, le prix de sortie est très compétitif par rapport au marché international.
On commence donc par définir le prix que l’investisseur étranger est prêt à payer au Maroc, pour être plus compétitif que les pays concurrents. Tout le reste est calculé de façon mécanique. Sans jamais perdre de vue la rentabilité, compte tenu du risque, fixée autour de 12% en moyenne.
La seule variable d’ajustement est le prix du foncier. Le reste est donné à l’investisseur. C’est le cas du projet immobilier de CFC, de l’offshoring, des P2I. Il n’y a pas un seul cas où l’avantage obtenu n’a pas été transféré au secteur privé.
Propos recueillis par Mouna Kably |